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tueuse et pénétrante de Louis Meyer, qui l’avait signalée à Spinoza, entre beaucoup d’autres également graves, dans le secret de l’amitié[1].

Mais Spinoza n’était point homme à sacrifier une nécessité logique à un fait d’observation. C’eût été à ses yeux un dérèglement d’esprit, un renversement de l’ordre des idées et des choses. L’expérience donne ce qui paraît, ce qui arrive, ce qui est ; la logique donne ce qui doit être. C’est donc à l’expérience à se régler suivant les lois nécessaires que lui impose cette logique toute-puissante qui gouverne l’univers et que la science aspire à réfléchir. Or, rien ne se déduit de l’idée de l’Être qu’une infinité d’attributs, et de l’idée des attributs, qu’une infinité de modes. La Substance renferme donc une infinité d’attributs, quelque petit nombre que nous en connaissions ; et tout ce qui n’est pas la Substance, ou l’attribut ou le mode de la Substance, tout cela, en dépit de la conscience qui proteste, n’est absolument rien et ne peut absolument pas être conçu.

On doit comprendre maintenant qu’il serait inutile d’aller chercher dans Spinoza les preuves qui établissent, qui démontrent son système ; ce serait peine perdue. Quiconque s’épuise à courir de théorème en théorème pour chercher l’argument capital, la preuve décisive sur laquelle repose le spinozisme, n’en a pas encore le secret. Lorsque Mairan, jeune encore, se passionna pour l’étude de l’Éthique et demanda à Malebranche de le guider dans cette périlleuse route, on sait avec quelle insistance, voisine de l’importunité, il pressait l’illustre Père de lui montrer enfin le point faible du spinozisme,

  1. Lettres, tome III, page 444 et suiv.