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nomme, dit-il, transcendantaux, comme être, chose, quelque chose[1]. L’âme humaine ne peut embrasser qu’un certain nombre d’images d’une manière distincte. Si ce nombre est dépassé, les images se mêlent et se confondent, et l’âme, n’imaginant plus alors les choses que dans une extrême confusion, les comprend toutes dans un seul prédicat, le prédicat être, le prédicat chose, etc.

Il suit de là qu’à mesure qu’on s’éloigne des êtres particuliers, on abandonne le réel, pour s’enfoncer dans la région des images confuses, de sorte que le genre le plus universel, le genre généralissime est la plus vague des conceptions, la plus creuse et la plus vide des pensées.

Spinoza le dit en propres termes :

« Plus l’existence est conçue généralement, plus elle est conçue confusément, et plus facilement elle peut être attribuée à un objet quelconque. Au contraire, dès que nous concevons l’existence d’une façon plus particulière, nous la comprenons d’une façon plus distincte[2] ».

Voilà Spinoza nominaliste. Comment expliquer alors ce dédain de l’expérience, cette préférence donnée au raisonnement, cet usage des définitions et des axiomes, enfin ce réalisme excessif et sans mesure qui plus tard lui fera retrancher aux âmes et aux corps toute existence distincte pour la transporter tout entière dans la pensée et dans l’étendue indéterminées, ces deux universaux réalisés, ces deux abstractions données comme la perfection de l’existence ?

Cette explication est très-simple : pour Spinoza il y a

  1. Éthique, de l’Âme, Schol. I de la Propos. XL.
  2. De la Réforme de l’Entendement, tome III, page 316.