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faite est celle qui enseigne à diriger l’esprit sous la loi de l’idée de l’Être absolument parfait[1].

Le reproche qui s’élève tout d’abord contre une telle méthode, c’est de fonder la philosophie sur des conceptions abstraites, de confondre de pures notions avec les essences réelles, en un mot de réaliser des abstractions. Assurément, Spinoza mérite souvent ce reproche ; mais il devient d’autant plus intéressant de constater qu’il était en garde contre le péril des abstractions réalisées ; et s’il y est souvent tombé, ce n’est point certainement par ignorance.

Spinoza professe positivement cette doctrine, que les universaux n’ont qu’une réalité abstraite, et que tout ce qui est réel est individuel[2]. Il se moque de ceux qui attribuent une réalité indépendante et effective à ces êtres de raison, l’homme, le cheval, et il ajoute, ce qui est plus grave, la volonté[3]. La source la plus ordinaire de nos erreurs, dit-il, c’est que nous confondons les universaux avec les êtres singuliers et individuels, et de purs abstraits, des êtres de raison avec les choses réelles[4]. Ne semble-t-il pas que Spinoza, ce grand réalisateur d’abstractions, prononce ici lui-même la condamnation de son système ?

Mais essayons de nous rendre compte de ce point singulier de sa doctrine, un des plus graves et des plus délicats qui se puissent toucher.

Spinoza explique fort nettement l’origine et la formation de nos idées les plus générales, de ces termes qu’on

  1. De la Réforme de l’Entendement, tome III, page 312.
  2. Éthique, part. 2. Propos. XLVIII, ou Schol.
  3. Lettre à Oldenb., tome III, pag. 352. — Comp. De la Réforme de l’Entendement, tome III, page 316.
  4. Éthique, de l’Âme, Schol. de la Propos. XLIX.