Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome I.djvu/24

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par une expérience vague que je sais que je dois mourir ; car si j’affirme cela, c’est que j’ai vu mourir plusieurs de mes semblables, quoiqu’ils n’aient pas tous vécu le même espace de temps ni succombé à la même maladie. Je sais de la même manière que l’huile a la vertu de nourrir la flamme et l’eau celle de l’éteindre, et en général toutes les choses qui se rapportent à l’usage ordinaire de la vie.

Le premier genre de connaissance, utile pour la vie, n’est d’aucun prix pour la science. Il atteint les accidents, la surface des choses, non leur essence et leur fond. Livré à une mobilité perpétuelle, ouvrage de la fortune et du hasard, et non de l’activité interne de la pensée, il agite et occupe l’âme, mais ne l’éclaire pas. C’est la source des passions mauvaises qui jettent sans cesse leur ombre sur les idées pures de l’entendement, arrachent l’âme à elle-même, la dispersent en quelque sorte vers les choses extérieures et troublent la sérénité de ses contemplations.

La connaissance du second genre est un premier effort pour se dégager des ténèbres du monde sensible. Elle consiste à rattacher un effet à sa cause, un phénomène à sa loi, une conséquence à son principe. C’est le procédé des géomètres, qui ramènent les propriétés des nombres, des figures, à un système régulier de propositions simples, d’axiomes incontestables. En général, c’est la raison discursive, par laquelle l’esprit humain, aidé de l’analyse et de la synthèse, monte du particulier au général, redescend du général au particulier, pour accroître sans cesse, pour éclaircir et pour enchaîner de plus en plus ses connaissances.

Que manque-t-il à ce genre de perception ? une seule