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le plus à craindre et dont j’ai le plus à me garder[1]. » L’état de nature est donc un état de guerre, et cet état est intolérable aux hommes. Non-seulement le faible y est opprimé par le fort, mais le fort lui-même n’a aucune sécurité, car il craint toujours un plus fort que soi. D’ailleurs les hommes ne peuvent se passer les uns des autres, et toute culture intellectuelle, tout progrès, seraient impossibles en dehors de l’état social :

« Les hommes ont donc compris que pour mener une vie heureuse et pleine de sécurité, il fallait s’entendre mutuellement et faire en sorte de posséder en commun ce droit sur toutes choses que chacun avait reçu de la nature ; ils ont dû renoncer à suivre la violence de leurs appétits individuels et se conformer de préférence à la volonté et au pouvoir de tous les hommes réunis[2]. »

De là l’origine du pouvoir social ou de l’État, entre les mains duquel chacun résigne son droit primitif. Cette substitution du droit de l’État au droit naturel est complète et absolue, suivant Spinoza[3], mais elle ne détruit pas pour cela le droit naturel. Car, dit-il, qu’est-ce qui me détermine à renoncer en faveur de l’État à mon droit naturel ? c’est le désir de la conservation, c’est la crainte de la violence étrangère, c’est l’amour du plus précieux de tous les biens, la sécurité. Or quoi de plus conforme au droit naturel que de chercher son bien et de fuir son mal, ou de sacrifier un moindre bien à l’espérance d’un bien plus grand ? Spinoza se flatte donc de conserver le

  1. Traité politique, chap II, art. 14.
  2. Traite théologico-politique, chap. xvi, page 254 de notre tome II.
  3. Traité politique, chap. I, art. 16.