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les en croire, en effet, l’âme humaine n’est pas produite par des causes naturelles, mais elle est créée immédiatement par Dieu dans un tel état d’indépendance par rapport au reste des choses qu’elle a un pouvoir absolu de se déterminer et d’user parfaitement de la raison. Or l’expérience montre surabondamment qu’il n’est pas plus en notre pouvoir de posséder une âme saine qu’un corps sain[1]… »

L’homme est donc une partie de la nature, rien de plus ; en d’autres termes, la puissance en vertu de la quelle chacun de nous existe et agit est, comme celle de tous les autres êtres, une partie de la puissance de Dieu. Cela posé, il est clair que Dieu ou la Nature a droit sur toutes choses. Car puisqu’il n’y a rien en dehors de son être et de sa puissance, il n’y a aucune limite possible à son droit. Est-ce à dire que ce droit universel de Dieu supprime tous les droits des êtres particuliers ? Non, dit Spinoza, tout être particulier est un fragment de Dieu. Sa puissance est un fragment de la puissance de Dieu. Il a donc aussi son droit qui est un fragment du droit universel de Dieu, et cette portion de droit que possède chaque individu se mesure exactement sur sa puissance. Dieu est tout, peut tout, et son droit est illimité comme sa puissance et comme son être ; chaque individu, homme, plante ou caillou, peut quelque chose, un peu plus, un peu moins, et autant il a de puissance, autant il a de droit.

« Les poissons, dit Spinoza, sont naturellement faits pour nager ; les plus grands d’entre eux sont faits pour manger les petits ; et conséquemment, en vertu du droit

  1. Traité politique, ch. I, art. 6.