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premières méditations, et il ne cessa de s’en inquiéter pendant toute sa vie. Nous savons qu’avant d’écrire son Éthique, ou, comme il l’appelle avec raison, sa philosophie, il avait jeté les bases d’un traité complet sur la méthode[1], ouvrage informe, mais plein de génie, plusieurs fois abandonné et repris sans jamais être achevé, où toutefois les vues générales de Spinoza sont suffisamment indiquées à des yeux attentifs par des traits d’une force et d’une hardiesse singulières.

Au commencement de cet ouvrage, Spinoza nous trace le tableau d’une âme à qui les biens périssables ne suffisent plus, et qui cherche, loin de la volupté, de la gloire, et de toutes les chimères dont la poursuite occupe et fatigue les âmes vulgaires, la sérénité durable et la paix.

« L’expérience, dit-il, m’ayant appris à reconnaître que tous les événements ordinaires de la vie commune sont choses vaines et futiles…, j’ai pris enfin la résolution de rechercher s’il existe un bien véritable…, un bien qui puisse remplir à lui seul l’âme tout entière, après qu’elle a rejeté tout le reste, en un mot, un bien qui donne à l’âme, quand elle le trouve et le possède, l’éternel et suprême bonheur[2]. »

Pourquoi de telles pensées au début d’un traité sur la méthode ? c’est que Spinoza ne sépare point dans la science deux choses inséparables dans la réalité : la poursuite du vrai et celle du bien. À ses yeux, l’homme est essentiellement un être qui pense, et, pour prendre sa forte expression, une idée. Le bonheur d’un tel être

  1. C’est le traité qui a pour titre : De la Réforme de l’Entendement. Voyez notre tome III.
  2. Ibid., tome III, page 297.