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Ceux-là du moins ne se font pas illusion sur la nature humaine « Ils ont appris à l’école des faits qu’il y aura des vices tant qu’il y aura des hommes. » Le tort de ce genre d’esprits, c’est de croire que les affaires de ce monde vont à l’aventure ils ne connaissent que la surface des choses et ne savent pas que sous ces accidents fugitifs que le vulgaire nomme caprice, fortune, hasard, règne un ordre caché, aussi certain, aussi inflexible que l’ordre de la géométrie.

« Pour moi, dit Spinoza, lorsque j’ai résolu d’appliquer mon esprit à la politique, mon dessein n’a pas été de rien découvrir de nouveau, ni d’extraordinaire, mais seulement de démontrer par des raisons certaines, ou, en d’autres termes, de déduire de la condition même du genre humain un certain nombre de principes parfaitement d’accord avec l’expérience ; et pour porter dans cet ordre de recherches la même liberté d’esprit dont on use en mathématiques, je me suis soigneusement abstenu de tourner en dérision les actions humaines, de les prendre en pitié ou en haine je n’ai voulu que les com-


    appréciation du Prince : « Quels sont pour un prince animé de la seule passion de dominer les moyens de conserver et d’affermir son gouvernement, c’est ce qu’a montré fort au long le très-pénétrant Machiavel mais a quelle fin a-t-il écrit son livre ? voilà qui ne se découvre pas assez clairement. S’il a eu un but honnête, comme on doit le croire d’un homme sage, il a voulu apparemment faire voir quelle est l’imprudence de ceux qui s’efforcent de supprimer un tyran, alois qu’il est impossible de supprimer les causes qui ont fait le tyran, ces causes elles-mêmes devenant d’autant plus puissantes qu’on donne au tyran de plus grands motifs d’avoir peur. C’est la ce qui arrive quand une multitude prétend faire un exemple et se réjouit d’un régicide comme d’une bonne action. Machiavel a peut-être voulu montrer combien une multitude libre doit se donner de garde de confier exclusivement son salut à un seul homme, lequel, à moins d’être plein de vanité et de se croire capable de plaire a tout le monde, doit redouter chaque jour des embûches, ce qui l’oblige de veiller à sa propre sécurité, et d’être plus occupé à tendre des pièges à la multitude qu’à prendre soin de ses intérêts. J’incline d’autant plus a interpréter ainsi la pensée de cet habile homme qu’il a toujours été pour la liberté et a donné sur les moyens de la défendre les conseils les plus salutaires. » (Traité politique, chap. v, art. 7.)