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ture de l’État ; il cherche l’origine et le fondement de la souveraineté, quels sont les droits, les devoirs, les garanties du citoyens, que valent les différents formes du gouvernement ; en un mot il aborde tous les problèmes essentiels de la science politique.

Cette science était bien jeune alors[1], et Spinoza se plaint qu’elle n’ait encore été traitée que par des utopistes ou par des empiriques. Il est plein de dédain pour les utopistes « Ces sortes d’esprits (dit-il, en songeant sans doute à Thomas Morus et à Campanella) croient avoir fait une chose divine et atteint le comble de la sagesse, quand ils ont appris à célébrer en mille façons une prétendue nature humaine qui n’existe nulle part et à dénigrer celle qui existe réellement. Car ils voient les hommes, non tels quu’ils sont, mais tels qu’ils voudraient qu’ils fussent. D’où il est arrivé qu’au lieu d’une morale, le plus souvent ils ont fait une satire et n’ont jamais conçu une politique qui pût être réduite en pratique, mais plutôt une chimère bonne à être appliqué au pays d’Utopie ou du temps de cet âge d’or pour qui l’art des politiques était assurément très superflu. On en est donc venu à croire qu’entre toutes les sciences susceptibles d’application, la politique est celle où la théorie diffère le plus de la pratique et que nulle sorte d’hommes n’est moins propre au gouvernement de l’État que les théoriciens ou les philosophes[2]. »

Spinoza se montre plus indulgent pour les empiriques, parmi lesquels il donne une place à part à Machiavel[3].

  1. Voyez sur l’état de la science politique au XVIIe siècle les savantes et profondes recherches de M. Paul Janet dans son Histoire de la philosophie morale et politique, tome II.
  2. Traité politique, chap. I., art. 1, page 337 de notre tome II.
  3. On remarquera la manière dont Spinoza juge Machiavel, notamment cette