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Spinoza. Il paraît même qu’il fut question d’obtenir pour lui une pension du roi, et qu’on l’engagea à dédier quelques-uns de ses ouvrages à Louis XIV. Spinoza racontait lui-même que, comme il n’avait pas le dessein de rien dédier au roi de France, il avait refusé l’offre qu’on lui faisait avec toute la civilité dont il était capable. On ne sait si l’entrevue de Spinoza avec le prince de Condé put avoir lieu ; mais il est certain que Spinoza se rendit au camp français, et qu’après son retour, la populace de la Haye s’émut, le prenant pour un espion. L’hôte de Spinoza accourut alarmé : « Ne craignez rien, lui dit Spinoza, il m’est aisé de me justifier. Mais quoi qu’il en soit, aussitôt que la populace fera le moindre bruit à votre porte, je sortirai et irai droit à eux, quand ils devraient me faire le traitement qu’ils ont fait aux pauvres messieurs de Witt. Je suis républicain, et n’ai jamais eu en vue que la gloire et l’avantage de l’État. » Spinoza racontait à Leibnitz que le jour de l’assassinat des frères de Witt, il voulait sortir et afficher dans les rues près du lieu des massacres un placard avec ces mots : Ultimi barbarorum ; son hôte fut obligé d’employer la force pour le retenir à la maison[1].

Le 23 février 1677, un dimanche, l’hôte de Spinoza et sa femme étaient allés à l’église faire leurs dévotions. Au sortir du sermon, ils apprirent avec surprise que Spinoza venait d’expirer. Il n’avait pas quarante-cinq ans ; quoique tombé en langueur depuis quelques mois, rien ne faisait présumer une mort si prompte. Tout prouve qu’il mourut en paix comme il avait vécu.

L’œuvre de sa vie était achevée. Il avait écrit sa fa-

  1. Voyez la note de Leibnitz, publiée pour la première fois par M. Foucher de Careil, Réfutation inédite de Spinoza, préface de l’éditeur, page 64. Paris, 1854.