Page:Œuvres de Spinoza, trad. Appuhn, tome I.djvu/325

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rons attentivement l’idée du Triangle, cette idée nous contraindra d’affirmer que ses trois angles égalent deux droits ; si nous considérons l’idée de Dieu, elle nous contraindra d’affirmer qu’il est souverainement véridique, auteur et conservateur incessant de notre nature, et, par suite, ne nous trompe pas au sujet de cette vérité concernant le Triangle. Nous ne pourrons pas plus, sitôt que nous considérons l’idée de Dieu (que nous supposons qui sera déjà en notre possession) penser qu’il est trompeur, qu’en considérant l’idée du Triangle nous ne pouvons penser que ses trois angles diffèrent de deux droits. Et, de même que nous pouvons former, cette idée du Triangle, bien que ne sachant pas si l’auteur de notre nature ne nous trompe pas, de même nous pouvons aussi rendre claire pour nous l’idée de Dieu et nous la mettre devant les yeux, bien que doutant encore si l’auteur de notre nature ne nous trompe pas en tout. Et, pourvu que nous l’ayons, de quelque façon que nous l’ayons acquise, cela suffira, comme on l’a montré, pour lever tout doute. Ayant posé ce que je viens de dire, je réponds à l’objection qu’on élève : nous ne pouvons être certains d’aucune chose, non du tout aussi longtemps que nous ignorons l’existence de Dieu (car je n’ai point parlé de cela), mais aussi longtemps que nous n’avons pas de lui une idée claire et distincte. Si donc quelqu’un veut argumenter contre moi, il devra dire : nous ne pouvons être certains d’aucune chose avant que nous ayons une idée claire et distincte de Dieu. Or nous ne pouvons avoir une idée claire et distincte de Dieu, aussi longtemps que nous ignorons si l’auteur de notre nature ne nous trompe pas. Donc nous ne pouvons être certains d’aucune chose aussi longtemps que nous ne savons pas si l’auteur de notre