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même. Puis donc que l’idée de Pierre est quelque chose de réel, elle sera aussi l’objet d’une autre idée qui contiendra objectivement en elle tout ce que l’idée de Pierre contient formellement, et à son tour cette idée, qui aura pour objet l’idée de Pierre, aura aussi son essence qui pourra de même être l’objet d’une nouvelle idée, et ainsi indéfiniment. Chacun peut l’éprouver en voyant que, sachant ce qu’est Pierre il sait aussi qu’il sait, et encore sait qu’il sait qu’il sait, etc. Il est constant par là, que pour connaître l’essence de Pierre, il n’est pas nécessaire que l’entendement connaisse l’idée même de Pierre et, encore moins, l’idée de l’idée de Pierre ; ce qui revient à dire que je n’ai pas besoin pour savoir, de savoir que je sais, et encore bien moins de savoir que je sais que je sais ; pas plus que pour connaître l’essence du triangle il n’est besoin de connaître celle du cercle[1]. C’est le contraire qui a lieu dans ces idées : pour savoir que je sais, il est nécessaire que je sache d’abord. Il suit de là évidemment que la certitude n’est rien en dehors de l’essence objective elle-même ; c’est-à-dire que la manière dont nous sentons l’essence objective est la certitude elle-même. Mais de là suit évidemment que, pour avoir la certitude de la vérité, nulle marque n’est nécessaire en dehors de la possession de l’idée vraie, car, ainsi que nous l’avons montré, je n’ai pas besoin pour savoir de savoir que je sais. Et de là suit de nouveau manifestement que seul peut savoir ce qu’est la plus haute certitude, celui qui a l’idée adéquate ou

  1. On observera que nous ne cherchons pas ici comment la première essence objective nous est donnée de naissance ; cette question a sa place dans l’étude de la nature où cela sera plus abondamment expliqué, et où l’on fera voir en même temps qu’en dehors de l’idée il n’y a ni affirmation ni négation ni aucune volonté.