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est riante où vous séjournez ! comme derrière vous elle gît tristement !

Elle qui autrefois, d’une aile rapide, s’était élancée, pleine de force, de vos mains créatrices, c’est dans vos bras qu’elle se retrouva, quand, par le triomphe insensible du temps, la fleur de la vie eut disparu de ses joues, la force de ses membres, quand elle se traînait d’un pas énervé, comme le vieillard appuyé sur son bâton. Alors, d’une source fraîche, vous offrîtes à ses lèvres altérées l’onde de la vie ; deux fois le temps se rajeunit, deux fois, par les semences que vous avez répandues.

Chassés par des hordes barbares, vous ravîtes le dernier tison de la sainte offrande aux autels profanés du levant, et vous le portâtes aux contrées du couchant. Alors le beau fugitif venu de l’orient, le jour se leva, brillant d’une jeunesse nouvelle, dans l’occident, et dans les champs de l’Hespérie on vit germer et, rajeunies, s’épanouir les fleurs de l’Ionie. La nature embellie jeta, comme d’un doux miroir, un beau reflet dans les esprits, et la grande déesse de la lumière pénétra, splendide, dans les âmes dignement parées. Alors on vit tomber des millions de chaînes, et le droit de l’humanité prononça son arrêt sur les esclaves ; comme des frères marchent ensemble dans la paix, ainsi grandit doucement l’humanité rajeunie. Dans la plénitude d’une noble et intime joie, vous jouissez du bonheur qui est votre ouvrage, et, vous cachant sous le voile de la modestie, vous restez à l’écart et taisez vos mérites.

Si, sur les routes désormais ouvertes de la pensée, l’investigateur, dans son heureuse audace, erre librement aujourd’hui, et, enivré des hymnes de triomphe, saisit déjà la couronne d’une main avide ; s’il croit, avec l’humble solde d’un mercenaire, payer son noble guide, et près du trône qu’il rêve daigne accorder à l’art le premier rang parmi ses esclaves… pardonnez-lui… la couronne de la perfection suprême plane brillante sur votre tête. C’est par vous, première fleur du printemps, que la Nature commença à façonner les âmes ; par vous, joyeuse couronne de la moisson, que la Nature clôt et parfait son œuvre.