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222 POÉSIES DÉTACHÉES. « Car sous moi, dans une obscurité pourprée, le vide s’enfonçait encore, profond comme du haut d’une montagne ; et, quoique tout dormît pour l’oreille dans un éternel silence, l’œil voyait en bas avec effroi comme l’eau grouillait de visqueux reptiles, de salamandres, de dragons, dans cette gueule terrible des enfers. « Là, tout noirs, fourmillaient, dans un horrible pêle-mêle, entassés en pelotes hideuses, la raie armée de pointes, le poisson des écueils, le marteau, monstre affreux ; et, avec furie, le requin effroyable, cette hyène des mers, me montrait ses dents menaçantes. « Et j’étais là suspendu.... j’en avais conscience avec horreur.... si loin de tout secours humain, le seul cœur doué de sentiment, le seul parmi ces fantômes, dans cette épouvantable solitude, bien bas au-dessous de tout son de la voix humaine, près des monstres du lugubre désert des eaux. « Je frissonnais à ces pensées, quand je vis cent jointures se mouvoir, ramper vers moi... une gueule veut me happer : égaré par l’effroi, je lâche la branche de corail où je m’étais cramponné. Aussitôt le tourbillon me saisit avec une impétueuse violence ; mais ce fut mon salut, il m’entraîna en haut. » Le roi s’étonne fort et dit : « La coupe t’appartient, et, de plus, je te destine cette bague, ornée de la plus riche pierre, si tu te risques encore et viens m’instruire de ce que tu auras vu au plus profond des mers. » Sa fille l’entendit avec une tendre pitié, et d’une voix caressante elle l’implore : « Assez, mon père, je vous en prie, assez de ce jeu cruel ! Il a osé à votre voix ce que personne n’ose. Si vous ne pouvez dompter les désirs de votre âme, que maintenant les chevaliers fassent rougir le page. » Là-dessus , le roi étend vivement la main vers la coupe ; il la lance au milieu du tourbillon : « Si tu me la rapportes encore