Page:Œuvres de Schiller, Esthétiques, 1862.djvu/25

Cette page n’a pas encore été corrigée

les cas la source d’un plaisir, lors même que cette convenance n’a aucune relation avec la morale, lors même qu’elle y répugne. Ce plaisir, nous le goûtons sans mélange, tant qu’il ne nous vient à la pensée aucun but moral auquel l’action où nous trouvons une convenance soit contraire. De même que nous prenons plaisir à observer l’instinct des bêtes qui ressemble à de l’intelligence, l’activité et l’industrie des abeilles, etc., sans rapporter cette convenance toute physique à une volonté vraiment intelligente, encore moins à un but moral : de même la convenance de toute action humaine nous est par elle-même une cause de plaisir du moment que nous n’y considérons rien de plus que le rapport des moyens avec le but. Mais, s’il nous vient à l’esprit de rapporter et ce but et ces moyens à un principe moral, et que nous y découvrions une disconvenance par rapport à ce principe, en un mot si nous nous rappelons que cette action est celle d’un être moral, à ce premier mouvement de plaisir succède une profonde indignation ; et il n’y a pas de convenance intellectuelle qui puisse nous réconcilier avec l’idée d’une disconvenance morale. Il ne faut pas se représenter trop vivement que ce Richard III, cet Iago, ce Lovelace, sont des hommes : autrement notre sympathie pour eux tourne infailliblement au sentiment contraire. Mais, comme nous l’apprend l’expérience journalière, nous possédons une faculté dont nous usons souvent, celle de détourner à volonté notre attention de tel ou tel côté des choses pour la diriger sur un autre, et le plaisir même qui n’est possible pour nous qu’au moyen de cette abstraction, nous invite à exercer cette faculté et à en prolonger l’exercice.

Cependant il n’est pas rare que la perversité intelligente se concilie notre faveur par cette raison surtout, qu’elle est un moyen de nous procurer le plaisir d’une convenance morale. Plus les pièges tendus par Lovelace à la vertu de Clarisse sont redoutables, plus dures sont les épreuves auxquelles la cruauté inventive d’un tyran soumet la constance de son innocente victime, plus le triomphe de la convenance morale aura d’éclat et de grandeur. C’est un charme de voir la toute-puissance du sens moral fatiguer et déconcerter à ce point le génie inventif d’un séducteur. Au contraire, nous comptons au méchant qui