yeux. Mais il faut une intelligence éclairée, et une raison indépendante de toutes les forces naturelles, et par conséquent indépendante aussi des tendances morales (en tant qu’elles agissent comme instincts), pour bien déterminer le rapport des devoirs moraux avec le principe suprême de toute moralité. De là vient que la même action où un petit nombre de personnes reconnaîtront la convenance suprême, ne sera pour la foule qu’une disconvenance révoltante, bien que les uns et les autres portent sur cette action un jugement moral ; de là vient que l’émotion causée par des actions de ce genre ne se communique pas à tous les cœurs avec cette uniformité qu’on devrait attendre de la nature humaine qui est une, et de la loi morale qui est nécessaire. Ne savons-nous pas que le sublime le plus vrai, le plus haut, n’est pour le plus grand nombre qu’exagération et non-sens ? parce que le sublime est perçu par la raison, et que la mesure de la raison n’est pas la même chez tous les hommes. Une âme vulgaire succombe sous le faix de ces grandes idées, ou se sent péniblement tendue par delà sa mesure morale. Le gros du peuple ne voit-il pas assez souvent le plus affreux désordre là où un esprit qui pense admire précisément l’ordre suprême ?
En voilà assez sur le sentiment de la convenance morale, considéré comme le principe de l’émotion tragique et du plaisir que nous prenons à la vue de la souffrance. Ajoutons toutefois qu’il y a un assez grand nombre de circonstances où la convenance naturelle semble charmer notre esprit, même aux dépens de la convenance morale. Ainsi l’esprit de suite que déploie dans ses machinations l’homme pervers flatte évidemment notre imagination, bien que ses moyens et son but répugnent à notre sens moral. Un homme de cette trempe est capable d’exciter en nous l’intérêt le plus vif : nous tremblons de voir manquer ces combinaisons, dont nous devrions souhaiter l’insuccès avec la plus vive ardeur, s’il était vrai de dire que nous rapportons toutes choses à la convenance morale. Mais ce phénomène lui-même n’infirme en rien ce que nous avons avancé jusqu’ici du sentiment de la convenance morale, et de l’influence de ce sentiment sur le plaisir que nous prenons aux émotions tragiques.
La convenance, le rapport au but, est pour nous, dans tous