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ce n’est point parce que nous sommes, que nous pensons, voulons , sentons. Nous sommes parce que nous sommes ; nous sentons , pensons et voulons , parce qu’il y a au dehors de nous quelque chose qui n’est pas nous.

La personne doit donc avoir en elle-même sa raison d’être, car le permanent ne peut dériver du changeant, et ainsi nous serions d’abord en possession de l’idée de l’être absolu, fondé en lui-même : c’est-à-dire de l’idée de la liberté. L’état doit avoir un fondement, et, puisqu’il n’est point par la personne, que dès lors il n’est pas absolu, il doit suivre et résulter ; et ainsi, en second lieu, nous serions arrivés à la condition de tout être dépendant ou du devenir : c’est-à-dire à l’idée du temps. « Le temps est la condition de tout devenir » est une proposition identique, car elle ne dit rien autre chose que ceci : « Pour que quelque chose suive , il faut qu’il y ait succession. »

La personne qui se manifeste dans le moi éternellement persistant, et seulement en lui, ne peut devenir, commencer dans le temps, parce qu’au contraire c’est bien plutôt le temps qui doit commencer en elle, parce que quelque chose de permanent doit servir de base au changement. Pour qu’il y ait changement, il faut que quelque chose change : ce quelque chose ne peut donc point être le changement lui-même. Quand nous disons : la fleur s’épanouit et se fane, nous faisons de la fleur un être persistant au sein de cette transformation ; nous lui prêtons en quelque sorte une personnalité, dans laquelle ces deux états se manifestent. Dire que l’homme prend d’abord naissance, devient, n’est pas une objection ; car l’homme n’est pas seulement personne en général , mais il est une personne qui se trouve dans un état déterminé. Or, tout état, toute existence déterminée naît dans le temps, et c’est ainsi que l’homme, en tant que phénomène, doit avoir un commencement, bien qu’en lui la pure intelligence soit éternelle. Sans le temps, c’est-à-dire sans le devenir, il ne serait pas un être déterminé ; sa personnalité existerait virtuellement, sans doute, mais non en acte. Ce n’est que par la succession de ses perceptions que le moi immuable se manifeste à lui-même.

Ainsi donc, la matière de l’activité, ou la réalité, que