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quité, chez laquelle le sentiment du beau atteignit en même temps son développement le plus élevé, et, comme contraste, on nous montre ces peuples en partie sauvages, en partie barbares, qui expient par un caractère grossier, ou tout au moins austère, leur insensibilité pour le beau. Néanmoins des penseurs sont tentés parfois, soit de nier le fait lui-même, soit de contester la légitimité des conséquences qu’on en déduit. Ils n’ont point une opinion si mauvaise de cette rudesse sauvage que l’on reproche aux peuples incultes , ni une opinion si avantageuse de ce raffinement que l’on vante chez les nations cultivées. Déjà dans l’antiquité il y avait des hommes qui ne voyaient rien moins qu’un bienfait dans la culture des arts libéraux, et qui , dès lors, étaient très-portés à défendre aux arts de l’imagination l’entrée de leur république.

Je ne parle pas de ceux qui ne médisent des arts que parce qu’ils n’ont jamais obtenu leur faveur. Ne mesurant le prix des objets qu’à la peine qu’il se faut donner pour les acquérir et aux avantages palpables qu’ils procurent, comment seraient-ils capables d’apprécier le travail silencieux du goût dans l’homme extérieur et dans l’homme intérieur ? Comment les inconvénients accidentels de la culture libérale ne leur feraient-ils pas perdre de vue ses avantages essentiels ? L’homme qui manque de forme méprise la grâce dans la diction comme un moyen de corrompre, la courtoisie dans les relations sociales comme de la dissimulation, la délicatesse et la générosité dans la conduite comme une exagération affectée. Il ne peut pardonner au favori des Grâces d’égayer toutes les réunions comme homme du monde, de diriger comme homme d’affaires tous les esprits selon ses vues, et, comme écrivain, d’imprimer peut-être son cachet à tout son siècle ; tandis que lui, victime du travail, ne peut, avec tout son savoir, obtenir, quoi qu’il fasse, la moindre attention, ni vaincre la plus petite difficulté. Comme il ne peut apprendre de son rival l’heureux secret de plaire, le seul parti qu’il lui reste à prendre, c’est de déplorer la dépravation de la nature humaine , qui adore plutôt l’apparence que la réalité.
Mais il est aussi des voix respectables qui se déclarent contre les effets du beau, et trouvent contre lui dans l’expérience des armes formidables. « On ne peut le nier, disent-elles : dans des