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Lettre X

Convaincu par mes précédentes lettres, vous êtes donc d’accord avec moi sur ce point, que l’homme peut s’éloigner de sa destination par deux chemins opposés, que notre époque se trouve réellement sur ces deux fausses routes et qu’elle est devenue la proie, ici de la grossièreté, là de l’épuisement et de la dépravation. C’est le beau qui doit le ramener de ce double égarement ; mais comment la culture des beaux-arts peut-elle remédier à la fois à ces deux vices opposés, et réunir en elle deux qualités contradictoires ? Peut-elle enchaîner la nature chez le sauvage, et la mettre en liberté chez le barbare ? Peut-elle, à la fois, tendre le ressort et le relâcher, et, si elle ne peut produire ce double effet, comment pourrait-on raisonnablement attendre d’elle un résultat aussi considérable que l’éducation de l’homme ?

On affirme, il est vrai (qui de nous ne l’a entendu répéter à satiété ?), que le sentiment développé du beau polit les mœurs : il semble que sur ce point toute preuve nouvelle soit inutile. On s’appuie sur l’expérience journalière, qui nous montre presque toujours la clarté de l’intelligence, la délicatesse du sentiment, la libéralité et même la dignité de la conduite, associées à un goût cultivé, tandis qu’un goût inculte entraîne ordinairement les qualités contraires. On en appelle, avec assez d’assurance, à l’exemple de la nation la plus civilisée de l’anti