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heureux destin, se courbent volontairement sous leur joug. Ceux-ci préfèrent ce crépuscule d’idées obscures où l’on sent plus vivement et où l’imagination peut se créer, à son gré, de commodes chimères, aux rayons de la vérité qui met en fuite les agréables illusions de leurs songes. C’est précisément sur ces illusions, que doit combattre et dissiper la lumière de la connaissance, qu’ils ont fondé tout l’édifice de leur bonheur, et ils croiraient payer trop cher une vérité qui commence par leur enlever tout ce qui a du prix à leurs yeux. Il faudrait qu’ils fussent déjà sages pour aimer la sagesse : vérité qui fut sentie tout d’abord par celui à qui la philosophie doit son nom.

Ce n’est donc pas assez de dire que les lumières de l’intelligence ne méritent le respect qu’autant qu’elles réagissent sur le caractère : c’est aussi, jusqu’à un certain point, du caractère qu’elles viennent ; car la route qui aboutit à la tête doit être frayée à travers le cœur. Faire l’éducation de la sensibilité est donc le besoin le plus pressant de l’époque ; parce que c’est un moyen , non pas seulement de rendre efficace dans la pratique l’amélioration des idées, mais encore de provoquer cette amélioration.