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Pompée, lorsqu’il va s’embarquer pour l’Afrique, et que ses amis le pressent de différer son départ jusqu’à ce que la tempête soit passée.

Mais la souffrance d’un scélérat n’a pas moins de charme tragique que la souffrance d’un homme vertueux ; et pourtant nous avons ici l’idée d’une disconvenance morale. La contradiction qu’il y a entre sa conduite et la loi morale devrait indisposer notre âme, et l’imperfection morale que suppose une telle conduite devrait nous remplir de douleur, lors même que nous ne compterions pour rien le malheur des innocents qui en sont victimes. Ici, il n’y a plus aucun motif de satisfaction dans la moralité de la personne, rien qui nous puisse dédommager de l’affection pénible que nous causent et sa conduite et sa souffrance. Et pourtant l’une et l’autre forment un objet très-précieux pour l’art, et devant lequel nous nous arrêtons avec un haut degré de plaisir. Il ne sera pas difficile de concilier ce phénomène avec ce que nous avons dit jusqu’ici.

Ce n’est pas seulement l’obéissance à la loi morale qui nous donne l’idée d’une convenance morale : la douleur qui suit une infraction à cette loi nous donne aussi la même idée. La tristesse qu’excite en nous la conscience d’une imperfection morale est une convenance, parce que ce sentiment correspond à son contraire, au sentiment de satisfaction qui accompagne tout acte conforme à la loi du bien. Le repentir, la réprobation de soi-même, même à leur plus haut degré, dans le désespoir, ont de la noblesse au point de vue moral, parce qu’ils ne sauraient jamais être éprouvés si au fond du cœur criminel ne veillait encore un incorruptible sentiment du juste et de l’injuste, et si la conscience ne faisait valoir ses droits même contre les intérêts les plus puissants de l’amour de soi. Le repentir qu’on éprouve d’une action vient de ce qu’on la compare avec la loi morale, et l’on est mécontent de cette action parce qu’elle répugne à cette loi. Il faut donc que, dans l’instant du repentir, la loi morale soit le motif qui parle le plus haut à un tel homme ; il faut que cet intérêt soit plus considérable pour lui que le fruit même de son crime, puisque la conscience d’avoir enfreint la loi morale empoisonne pour lui la jouissance de ce fruit. Or, l’état d’une âme où la loi du