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comme dans une ville en flammes, chacun ne s’efforce que d’arracher au désastre son misérable patrimoine. Ce n’est que par abjuration complète de la sensibilité que l’on croit pouvoir échapper à ses égarements, et la raillerie, qui est souvent pour le délire du rêveur une correction salutaire, blasphème avec aussi peu de ménagement le sentiment le plus noble. Bien loin de nous mettre en liberté, la civilisation, avec chaque faculté qu’elle développe en nous, ne fait qu’éveiller un nouveau besoin ; les liens de la vie physique se resserrent tous les jours d’une manière plus inquiétante, de sorte que la crainte de perdre étouffe en nous jusqu’à l’ardente aspiration au mieux, et que la maxime de l’obéissance passive est regardée comme la plus haute sagesse pratique. C’est ainsi qu’on voit l’esprit du temps osciller entre la perversité et la rudesse, entre la nature brute et ce qui est contre nature, entre la superstition et l’incrédulité morale, et ce n’est que l’équilibre du mal qui parfois encore met des bornes au mal.