effrénée à se satisfaire brutalement. Il se peut que l’humanité objective ait eu lieu de se plaindre de l’État : l’humanité subjective doit en respecter les institutions. Peut-on blâmer l’État d’avoir perdu de vue la dignité de la nature humaine, tant qu’il s’agissait de défendre l’existence même de l’humanité ? de s’être empressé de séparer par la gravitation, de réunir par la cohésion, lorsqu’on ne pouvait songer encore à la force plastique ? Sa décomposition suffit à le justifier. Au lieu de s’élever bien vite à la vie organique, la société dissoute retombe à l’état moléculaire.
De l’autre côté, les classes civilisées nous offrent le spectacle plus repoussant encore de la langueur énervée et d’une dépravation de caractère d’autant plus révoltante qu’elle a sa source dans la culture elle-même. Je ne me rappelle quel philosophe ancien ou moderne a fait la remarque, que plus un être est noble, plus il est affreux dans sa corruption. Cette remarque conserve sa vérité dans le domaine moral. Dans ses égarements, le fils de la nature est un furieux, l’élève de la civilisation un misérable. Ces lumières de l’intelligence, dont les classes raffinées se vantent non sans quelque raison, sont en général si loin d’ennoblir les sentiments par leur influence, qu’elles fournissent plutôt des maximes pour étayer la corruption. Nous renions la nature dans sa sphère légitime, pour essuyer sa tyrannie dans le champ de la morale, et, en même temps que nous résistons à ses impressions, nous lui empruntons nos principes. La décence affectée de nos mœurs refuse de l’entendre d’abord, étouffe ses premiers mouvements, au moins pardonnables, pour la laisser, dans notre morale matérialiste, prononcer en dernier ressort. Au sein de la sociabilité la plus raffinée, l’égoïsme a fondé son système, et nous subissons toutes les contagions et toutes les contraintes de la société, sans en recueillir pour fruit un cœur sociable. Nous soumettons notre libre jugement à son opinion despotique, nos sentiments à ses usages bizarres, notre volonté à ses séductions ; il n’y a que notre volonté arbitraire que nous maintenions contre ses droits sacrés. Une orgueilleuse suffisance resserre le cœur chez l’homme du monde, tandis que, fréquemment encore, la sympathie le fait battre chez l’enfant grossier de la nature, et,