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pour qu’une législation puisse sortir de cette harmonie.

On peut dire que chaque homme individu porte virtuellement en lui le type d’un homme pur et idéal, et le grand problème de son existence est de rester d’accord avec l’immuable unité de ce type, au milieu de tous les changements. Cet homme idéal, qui se révèle d’une manière plus ou moins claire dans chaque sujet ou individu, est représenté par l’État, forme objective, normale si je puis dire, dans laquelle la diversité des sujets tend à s’identifier. Pour que l’homme du temps coïncide avec l’homme de l’idée, on peut concevoir deux moyens ; et c’est par ces deux moyens aussi que l’État peut se maintenir dans les individus : Ou bien, l’homme idéal supprime l’homme empirique, l’État absorbe les individus ; ou bien, l’individu devient État, l’homme du temps s’ennoblit jusqu’à devenir l’homme de l’idée.

Sans doute, cette différence disparaît dans une appréciation morale superficielle ; car, pourvu que sa loi ait une valeur absolue, la raison est satisfaite. Mais, dans une appréciation anthropologique complète, où l’on tient compte du fond en même temps que de la forme, où le sentiment vivant a, lui aussi, droit de suffrage, cette différence entrera en sérieuse considération. Si la raison exige l’unité, la nature réclame la diversité, et l’homme est revendiqué par ces deux législations. Les préceptes de la première sont gravés dans son âme par une conscience incorruptible ; les préceptes de la seconde, par un sentiment indélébile. Dès lors, ce sera toujours le signe d’une culture défectueuse encore, que le caractère moral ne puisse se maintenir que par le sacrifice du caractère naturel ; et une constitution politique sera encore bien imparfaite si elle ne sait produire l’unité que par le sacrifice de la diversité. L’État doit honorer non seulement le caractère objectif et générique, mais aussi le caractère subjectif et spécifique, dans les individus ; en