le temps de se cramponner, avec sa volonté, à la loi, elle lui aurait retiré de dessous les pieds l’échelle de la nature.
Ainsi, la grande difficulté, c’est que la société ne doit point cesser un seul instant dans le temps pendant que la société morale se forme dans l’idée ; c’est qu’il ne faut pas, par amour pour la dignité de l’homme, mettre son existence en péril. Quand l’ouvrier veut réparer une horloge, il en arrête les rouages ; mais l’horloge vivante de l’État doit être réparée pendant qu’elle marche, et il ne s’agit de rien moins que de remplacer une roue par une autre pendant son évolution. Afin de pourvoir à la continuation de la société, il faut donc chercher un appui qui la rende indépendante de cet État fondé sur la nature qu’on veut dissoudre.
Cet appui ne se trouve pas dans le caractère naturel de l’homme qui, égoïste et violent, tend au bouleversement bien plus qu’à la conservation de la société ; il ne se trouve pas davantage dans son caractère moral, qui, d’après l’hypothèse, n’est pas encore formé, et sur lequel le législateur ne saurait jamais agir ou même compter avec certitude, parce qu’il est libre et ne se manifeste jamais. Il s’agirait, en conséquence, d’abstraire du caractère physique l’arbitraire, et du caractère morale la liberté ; il s’agirait de mettre le premier en harmonie avec les lois et de faire le second dépendant des impressions ; il s’agirait d’éloigner celui-là de la matière et d’en rapprocher celui-ci, afin de produire un troisième caractère qui, allié des deux autres, ménageât une transition entre l’empire des forces brutales et l’empire des lois, et qui, sans entraver le développement du caractère moral, devînt en quelque sorte un gage sensible de la moralité invisible.