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sorte d’émotion à propos d’un malheur personnel, qu’en tant que la douleur qu’on en éprouve est assez tempérée pour laisser quelque place à cette impression de plaisir qu’y trouverait, par exemple, un spectateur compatissant. La perte d’un grand bien nous atterre sur le moment, et notre douleur émeut le spectateur : dans un an, le souvenir de cette peine elle-même nous fera éprouver de l’émotion. L’homme faible est toujours la proie de sa douleur ; le héros et le sage, quel que soit le malheur qui les frappe, n’en ressentent jamais que de l’émotion.

L’émotion, tout ainsi que le sentiment du sublime, se compose de deux affections, la douleur et le plaisir ; il y a donc, au fond, ici et là, une convenance, et, sous cette convenance, une contradiction. Ainsi, il semble que ce soit une contradiction dans la nature, que l’homme, qui n’est pourtant pas né pour souffrir, soit en proie à la souffrance ; et cette contradiction nous fait mal. Mais le mal que nous fait cette contradiction, est une convenance par rapport à notre nature raisonnable en général ; et, en tant que ce mal nous sollicite à agir, c’est une convenance aussi par rapport à la société humaine. Par conséquent, le déplaisir même qu’excite en nous cette contradiction doit nécessairement nous faire éprouver un sentiment de plaisir, parce que ce déplaisir est une convenance. Pour déterminer, dans une émotion, si c’est le plaisir ou le déplaisir qui l’emporte, il faut se demander si c’est l’idée de la disconvenance, ou celle de la convenance, qui nous affecte le plus vivement. Cela peut dépendre ou du nombre des motifs, des buts atteints ou manqués, ou de leur rapport avec le dernier de tous les buts.

La souffrance de l’homme vertueux nous émeut plus douloureusement que celle du pervers, parce que dans le premier cas il y a contradiction, non pas seulement par rapport à la destinée générale de l’homme qui est le bonheur, mais par rapport à cette autre fin particulière, que la vertu rend heureux ; tandis que dans le second cas il y a contradiction seulement par rapport à la fin de l’homme en général. Réciproquement, le bonheur du méchant nous offense aussi beaucoup plus que l’infortune de l’homme de bien, parce que nous y trouvons une