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l’on est infailliblement entraîné, lorsqu’en dressant une législation des choses esthétiques, on confond deux domaines absolument différents, celui du touchant et celui du beau.[1]

Le touchant et le sublime se ressemblent en ce point, que l’un et l’autre produisent un plaisir par une première impression de déplaisir, et que par conséquent (le plaisir procédant de la convenance, et le déplaisir du contraire), ils nous donnent le sentiment d’une convenance qui suppose d’abord une disconvenance.

Le sentiment du sublime se compose, d’une part, du sentiment de notre faiblesse, de notre impuissance à embrasser un objet, et, d’autre part, du sentiment de notre pouvoir moral, de cette faculté supérieure qui ne s’effraye d’aucun obstacle, d’aucune limite, et qui se soumet spirituellement ce même à quoi nos forces physiques succombent. L’objet du sublime contrarie donc notre pouvoir physique, et cette contrariété (disconvenance) doit nécessairement exciter en nous un déplaisir. Mais c’est en même temps une occasion de rappeler à notre conscience une autre faculté qui est en nous, faculté qui est supérieure même aux objets devant lesquels notre imagination succombe. Par conséquent, un objet sublime, précisément parce qu’il contrarie la sensibilité, est convenable par rapport à la raison ; et il nous donne une jouissance par le moyen de la faculté plus haute, en même temps qu’il nous blesse dans la faculté inférieure.

Le touchant, dans son sens propre, désigne cette sensation mixte où entrent à la fois la souffrance, et le plaisir qu’on trouve à la souffrance même. Aussi ne peut-on ressentir cette

  1. Ici Schiller a supprimé le morceau suivant, qu’on lit dans la Nouvelle Thalie :

    « Dans le genre touchant, l’épopée et la tragédie se maintiennent, en poésie, au premier rang. Dans la première, le touchant est associé au sublime ; dans la seconde, le sublime au touchant. Si l’on voulait avancer plus loin à l’aide de ce fil conducteur, on pourrait établir des espèces de poésie qui ne traitent que le sublime, d’autres qui ne traitent que le touchant. Dans d’autres encore, le touchant se marierait principalement avec le beau, et formerait ainsi la transition au second ordre des arts. Peut-être ainsi pourrait-on parcourir, le même fil à la main, tout ce second ordre, je veux dire les beaux-arts, et une fois parvenu, dans ce domaine, à la plus haute perfection, retourner de là au sublime et fer mer de la sorte le cercle des arts. »