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Tout le monde attenter à leur virginité,
Laissent le temple ouvert, et toutes en colere,
En retournant s’asseoir aux costez de leur pere,
Abandonnent leur art sans honneur et sans pris,
Profané par la voix de tant de bas espris.

Ainsi par les saisons tout fleurit et s’efface,
Les choses pour un temps l’une à l’autre font place,
Et toutes à la fin cedent au changement,
Quand il n’est plus de lieu pour leur accroissement.
Lorsque du plus haut ciel les Muses descendues
N’avoient qu’en peu d’esprits leurs flammes espandues,
De leurs chastes amours les premiers inspirez
Ouvrirent des tresors de la France admirez ;
Mais, rien n’estant jamais parfait de sa naissance,
Ils ne peurent trouver, parmy tant d’ignorance,
Ce qu’avecque plus d’art les autres ont cherché,
Voyant par les premiers le chemin defriché.

Quand de si peu de mots la France avoit l’usage,
C’estoit estre sçavant que d’avoir du langage ;
Rien ne se peut former et pollir à la fois,
Et faut beaucoup de mots pour en faire le chois.

Ces esprits emportoient la gloire toute entiere,
Si tousjours la façon eust suivi la matiere ;
Mais souvent à leurs vers defailloit la beauté,
Comme aux corps qui n’ont rien qu’une lourde santé.
A ces vieux bastimens ils étoient comparables,
Dont le fondement ferme et les portes durables
De l’orage et des vents mesprisent les efforts,
Mais qui, sans ornement et dedans et dehors,
N’ont nul esclat riant où l’œil se puisse plaire ;
L’émail des chiffres d’or dans les chambres n’esclaire[1],
Ny des marbres divers la luisante clairté,
Et n’ont rien qui ne soit pour la necessité ;
Non plus que ces guerriers vestus d’armes pesantes,
Qui les pourroient avoir et bonnes et luisantes ;
Mais voulant aux combats seulement s’asseurer,
Ont soin de se couvrir et non de se parer.

Les derniers, qui vouloient s’esloigner de ces vices,
Ont assis Apollon au throsne des delices,
Mais de trop de liens contraint sa majesté.
Luy qui, comme un grand Dieu, n’a rien de limité,
Qui dessus tous les arts estendant son empire,
De pompe et d’appareil par tout souloit reluire,
En cet âge dernier, chassé de sa maison,

  1. Ne brille.