Comme ès oracles saints croyant à leurs paroles,
Leurs images estoient des autres les idoles ;
On voyoit en leur nom des temples élevez,
Et pour garder leurs corps on tenoit reservez
Des tombeaux enrichis de pilliers et d’arcades,
Qui soustenoient les lys et les roses muscades,
Tandis que leurs esprits alloient en d’autres lieux,
Où des astres plus nets esclairoient[1] à leurs yeux.
Depuis que de ce Dieu la nourrice secrette
L’eut tiré doucement de son antre de Crete,
Et qu’il nous eut donné par des mois si divers,
Apres de doux printans, de si facheux hyvers ;
Que l’on n’eust desormais plus de fruit sans semence,
Et qu’il fallut des loix pour garder l’innocence,
Tous ces premiers honneurs, que l’on avoit rendus
À cet art tout divin, furent presque perdus ;
Les Roys pourtant encor y mettoient leur estude.
Mais, depuis qu’une langue est hors de servitude,
Et qu’il est tant de mots que chacun peut parler,
Ce grand nombre de vers, qui sont bons à brûler,
Des sçavans et des grands les esprits importune
Et leur fait mespriser ceste gloire commune ;
Pour dédaigner l’objet qui nous est le plus cher,
C’est assez quand beaucoup en osent approcher.
Comme une fleur secrette, une odorante rose,
Qui seule seurement sur l’espine repose,
Dans un jardin bien clos, ou dans quelque verger,
Qui n’est veu des troupeaux ni cognu du berger ;
Le soleil en fait cas et, rayonnant sur elle,
Accroist de ses presens sa beauté naturelle ;
L’aube, sur l’orient déployant ses habis,
Sur elle de son sein fait tomber des rubis ;
Ceste fleur en passant est de tous desirée,
La fille en veut parer sa perruque[2] dorée ;
Le rosier, la cachant, montre de ne faillir
À repousser la main qui la viendra cueillir.
Mais, si par les troupeaux sa couleur est fanée,
Et par l’œil des bergers sa beauté profanée,
Ses feuilles sans odeur tombent sous l’eglantier,
Et perd en un instant son ornement entier.
Ces pudiques beautez, à la fin trop fachées
De voir de gens de peu leurs faveurs recherchées,
Leurs saints ruisseaux troublez, et par impunité
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