Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/97

Cette page a été validée par deux contributeurs.





ÉLÉGIE


SUR LES


ŒUVRES DE MONSIEUR DESPORTES


________



Je n’aime plus les vers, et toute ma colere
Est de voir tant d’esprits, qui se meslent d’en faire,
Nous broüiller des papiers que pour livres on vent,
Et ce sont toutesfois des caprices de vent :
Ces causeurs, despourveus de forces naturelles,
D’un plumage emprunté se façonnent des ailes,
Et comme oiseaux blessez ils s’élevent en haut,
Et puis tout à la fois la force leur defaut.

Il ne peut qu’une mere, en enfans trop feconde,
N’en mette de boiteux ou de bossus au monde :
Entre tant de rymeurs, que la langue a tous faits,
On ne doit s’esbahir s’il en est d’imparfaits ;
Par le trop d’ornement sa gloire est oppressée,
Comme par trop d’espis la moisson est versée.
Les Muses ont perdu toute leur chasteté,
Et comme on voit en tout nostre siecle effronté,
A ceste heure chacun met la main sous leur robe,
Entre dedans leur temple et leurs secrets desrobe.

En ces âges naissans pleins de rusticité,
Où les premiers mortels en leur simplicité
Veirent d’un cœur contant, ainsi que de fontaines,
Decouler le nectar des montagnes hautaines,
Et, sans chaud et sans froid, un aimable printans
Joindre la fleur, la fueille et le fruit en tout tans ;
Lors que sans nul travail, aux hommes inutile,
La terre aux plus oysifs se montroit plus fertile ;
Ceux qui du mont Parnasse au ciel pouvoient monter
Du peuple étoient tenus enfans de Jupiter,