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des satires. Le puissance de la raison abritait les premiers contre le mauvais goût, l’afféterie, les recherches de style, les extravagantes similitudes et l’archaïsme des poëtes courtisans ; la justesse et la finesse de l’observation, le charme du récit ; l’intérêt que conservent toutes les images de la société, la valeur historique de ces tableaux, ont éloigné des seconds les ténèbres menaçantes qui font trembler tous les auteurs. Montaigne, Charron, la Boëtie, Bodin, Rabelais, Régnier, Marguerite de Navarre, Brantôme, Agrippa d’Aubigné, ont survécu aux chantres laborieux des Valois. Chose étonnante ! Mathurin Régnier, le disciple fervent, l’admirateur fidèle de Ronsard et de Du Bellay, n’a aucune des taches qui obscurcissent les œuvres de ses compagnons ; il a su, avant Malherbe et mieux que lui, éviter le phébus, les ampoules italiennes. Le génie observateur et comique l’a préservé de la contagion méridionale.

Et cependant la Pléiade n’a pas disparu sans laisser de vestiges ; ces hommes de talent ne se sont pas évanouis comme un brouillard nocturne aux premiers rayons du soleil. Ils avaient déployé leur bannière en l’honneur de la langue française ; ils voulaient la faire sortir de sa naïveté enfantine, lui donner la vigueur de l’âge mûr, la placer au niveau des langues antiques et de l’italien, le seul idiome moderne dont ils connussent le mérite. Dans le programme de cette réforme entraient non-seulement les mots et la diction, mais le rhythme, les différentes combinaisons du vers. Notre poésie devait se plier à toutes les cadences métriques des anciens et du moyen âge. Ce but primitif de l’école, elle eut la gloire de l’atteindre ; elle assouplit, elle enrichit notre idiome ; elle lui ajuste, non sans bonheur, la versification gréco-romaine et la versification des troubadours. Le sonnet même venait de ces derniers, poëtes aventureux, dont ni les Italiens ni la Pléiade n’ont égalé la hardiesse. L’engouement pour les auteurs ultramontains, l’imitation de leurs hyperboles, jongleries et mignardises, ne partagèrent point la chute de la docte compagnie. Malherbe en fut toujours infecté : elles continuèrent à sévir après sa mort et soufflèrent leurs miasmes dans l’hôtel de Rambouillet. D’Assouci et Scarron grimaçaient sous leur influence. Chapelain, Ménage, Condé, la Rochefoucauld et plusieurs femmes illustres, Sévigné, la Fayette, Maintenon, prolongèrent pendant tout le règne de Louis XIV, soit les effets, soit la mode de l’admiration pour l’Italie[1]. Molière et la Fontaine lui empruntaient de nombreux

  1. De l’Influence de l’Italie sur les Lettres françaises, par Rathery, 1853.