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rature nouvelle. Les grandes passions élèvent, inspirent le talent, lui ouvrent les portes d’un jardin enchanté où ne pénètre pas la multitude, dont n’approchent jamais les affections tièdes et vulgaires. Il s’en faut que le libertinage produise d’aussi heureuses conséquences ; tout au plus fait-il décrire des scènes voluptueuses, rimer des chansons piquantes. C’est ce qu’on trouve dans les écrits de la Pléiade. L’amour vrai, l’amour enthousiaste, lui demeura inconnu ; aussi la voix de ses poëtes prenait-elle de fausses intonations, aussi leur visage grimaçait-il, dès que la fantaisie leur venait de chanter, de feindre un attachement idéal. Or ce caprice les tourmentait souvent. De là les protestations guindées, les froides doléances, les absurdes métaphores, qui alourdissent leurs vers et attestent combien l’auteursouffrait peu, combien son cœur battait mollement.

Cette liberté dont ils étaient dépourvus à tant d’égards, dont ils ne comprenaient pas la valeur, la possédaient-ils au moins dans le domaine littéraire ? Y faisaient-ils preuve d’indépendance et d’originalité ? Esclaves dans le fond, se préservaient-ils de la servitude dans la forme ? Là aussi une malheureuse tendance les précipitait au-devant des fers. Une double imitation ajoutait sa contrainte à celles qui les retenaient déjà. D’une part, ils s’étaient inféodés aux littérateurs de la Grèce et de Rome ; de l’autre, ils se déclaraient les hommes liges des Italiens. Leur soumission ne diminua pour les premiers qu’en augmentant pour les seconds. Changer de maîtres ne leur répugnait point, mais l’idée non plus que le désir ne leur venait de s’affranchir complétement ; il leur fallait toujours une livrée.

Ne plongeant pas ses racines dans le terrain solide et profond du caractère national, des grands intérêts contemporains, des questions vitales où se préparait sourdement l’avenir, l’école poétique du seizième siècle ne pouvait rien fonder de grand et de durable. Posée sur la France comme un gui sur un chêne, elle en fut aisément séparée, elle se flétrit sans retour et devint la proie d’un complet oubli. Tous les efforts imaginables ne sont point parvenus à la réhabiliter. Elle est curieuse, elle intéresse les savants, les littérateurs, il faut la connaître ; mais elle n’a aucun charme pour la nation, elle ne touche aucune fibre populaire, ne rappelle aucun souvenir important ou glorieux.

Les seuls écrivains de cette époque, dont le temps n’a pas détruit le prestige, sont ceux qui ont joint au mérite de la forme le souci et l’intelligence des problèmes fondamentaux que débattait l’humanité contemporaine, ou qui se sont attachés à peindre les mœurs du siècle dans des contes, des anecdotes et