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breux emprunts. Quoi qu’il en soit, la pièce fut merveilleusement bien accueillie du public. On y ajusta un air, et elle vola de bouche en bouche. Son succès dura longtemps, car on la chantait encore sous la minorité de Louis XIV[1].

L’évêque du Puy avait une nièce. Desportes s’éprit d’elle, et, avec son tempérament, ne pouvait guère s’en dispenser. Mais je ne crois pas le moins du monde qu’il l’ait chantée sous le nom de Cléonice[2] : la personne désignée par ce nom imaginaire fut la troisième de ses maîtresses ; elle occupe ce rang dans toutes les éditions de ses œuvres. L’inflammable poëte, ayant à peine de la barbe au menton quand il devint secrétaire du prélat, quelles auraient été les deux premières jeunes filles divinisées par lui de sonnets en sonnets ? Dreux du Radier nous apprend d’ailleurs qu’il avait trente-deux ou trente-trois ans à l’époque où il rima ces vers ; enfin le livre de Cléonice porte pour second titre : Dernières amours.

Le patron de Desportes l’emmena au delà des Alpes. Sur cette terre des Césars, que le christianisme avait seulement rajeunie à moitié, le néophyte aspira, en quelque sorte, à pleins poumons les influences qui dominaient alors notre littérature, le goût des anciens, l’imitation de leurs modernes continuateurs. Ce fut à Rome même qu’il apprit la langue du pays[3]. Il serait curieux de savoir comment il passa son temps parmi les Italiennes, mais nous n’avons pas le moindre détail concernant ce voyage. Colletet a omis Desportes dans son Histoire manuscrite des Poëtes françois, que possède la bibliothèque du Louvre : on doit regretter vivement les faits précieux et maintenant perdus pour jamais, qu’il nous eût révélés[4]. Au delà des Alpes, le jeune écrivain eut sans doute mainte aventure galante.

  1. Du Radier ajoute à ce détail que nous lui empruntons : « Furetière, dans son Roman bourgeois, cite cette chanson comme fort connue, et Régnier, dans sa satire X, avoit dit en parlant d’une nuit obscure :

    Croyez qu’il n’estoit pas : ô nuict, jalouse nuict !
    Car il sembloit qu’on eust aveuglé la nature,
    Et faisoit un noir brun d’aussi bonne teinture
    Que jamais on en vit sortir des Gobelins.

    Ce qui fait voir que le premier vers de Des Portes avoit passé en proverbe, preuve indubitable du mérite d’un ouvrage et de l’accueil que le public lui a fait ; je ne connois point de pièce de Malherbe à qui on ait fait cet honneur. » Voici le passage de Furetière que mentionne du Radier : « À son geste et à son regard parut assez son mécontentement ; sans doute que dans son âme elle dit plusieurs fois : O nuit, jalouse nuit ! »

  2. C’est Tallemant qui avance ce fait improbable.
  3. Niceron, Mémoires pour servir à l’histoire des hommes illustres, t. XXV.
  4. J’ai vérifié moi-même sur le manuscrit l’absence de cette notice.