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prit point de repos qu’il n’eut été frappé d’une sentence capitale. Le malheureux fut pendu, puis brûlé publiquement en place de Grève. Les rimeurs fanatiques célébrèrent sans doute comme un exploit leur action vile et cruelle. Le poëte Rapin s’en fit honneur à son lit de mort[1].

Fermant ainsi les yeux pour ne pas voir, l’école stationnaire se plongea dans une nuit factice. Les horizons nouveaux que découvrait l’humanité, les lueurs mystérieuses dont les éclairait l’avenir, comme par une sorte de réfraction, n’existaient pas pour elle. D’où lui seraient venues les solides pensées, les grandes inspirations ? Sur quelle base aurait-elle pu construire une œuvre durable, un de ces monuments qui bravent les tempêtes et que ne renverse point le flot des âges ?

Si encore une piété vive, ardente et forte l’avait exaltée ! Mais elle n’était chrétienne qu’à la superficie, elle ne priait Dieu que du bout des lèvres. Le côté noble, héroïque, ou tendre et humain du catholicisme, elle ne l’apercevait pas. Elle aimait trop Mars et Vénus, Bellone et Jupiter, Diane et Apollon ; elle invoquait trop l’Amour, Cypris et les Muses, pour bien comprendre l’Évangile, pour frissonner d’une poétique émotion dans les ténèbres des églises. Catholique en apparence, elle était païenne au fond du cœur. Une double tranchée lui coupait la route de l’avenir, l’exilait du pays de la jeunesse et de l’espérance, où fleurissent les idées neuves, où croissent les productions immortelles. Si le dogme ultramontain l’enchaînait au moyen âge, son idolâtrie mythologique la liait d’une seconde chaîne, qui la rivait à une époque antérieure, qui finissait de la rendre immobile. Ces prisonniers des vieux systèmes ne pouvaient conduire les peuples, marcher en tête de la civilisation.

Leur docilité politique, l’aide qu’ils prêtaient aux rois dans leurs amours, les perpétuelles flatteries, les humbles manières et la souplesse infatigable, sans lesquelles on ne réussit point auprès des grands, ne devaient pas plus élargir leurs idées qu’ennoblir leur caractère. L’intelligence baisse à mesure que la fierté diminue. Ni la raison ni le talent ne sont faits pour obéir : l’indépendance les fortifie comme un air pur et embaumé ; la servitude les dégrade, les énerve, leur communique les teintes pâles de la faiblesse et de la maladie.

Les mœurs de la cour n’étaient pas plus favorables à la litté-

  1. Doctrine curieuse des Beaux-Esprits de ce temps, par le P. Garasse (pages 124 et suiv.). M. Sainte-Beuve a rapporté ce fait odieux ; mais sans en tirer les conclusions qu’il suggère naturellement.