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On s’est demandé pourquoi cette brillante école de Ronsard, où abondaient le talent et la verve, et que le succès échauffa tout d’abord de ses rayons propices, n’atteignit pas une pleine maturité, mais s’arrêta dans sa croissance et tomba prématurement. Notre littérature semblait pouvoir prendre dès lors la forme et la saveur des grandes époques. D’où vient que l’effet contraire a eu lieu ? D’où vient que la Pléiade s’est égarée dès le premier jour dans l’affectation, qu’elle est morte avant terme ? Les causes de sa chute rapide sont bien évidentes, et on aurait pu facilement les découvrir. Cette fière et savante école a péri parce qu’elle négligeait le fond pour la forme, parce qu’elle manquait d’idées originales, qu’elle n’avait nulle indépendance d’esprit ou de conduite, parce qu’elle tournait le dos à l’avenir.

Essentiellement catholique, hostile par conséquent au libre examen, elle approuvait toutes les persécutions religieuses, toutes les violences réactionnaires, sans excepter la Saint-Barthélemy. Elle poussa même la servilité jusqu’au crime. Baïf outrageait dans ses vers l’amiral de Coligny assassiné[1]. Ronsard a vingt fois célébré les victoires remportées sur les protestants, les rigueurs déployées contre eux. Jarnac et Montcontour inspiraient à la Pléiade un enthousiasme pindarique. Dans cette bande de lansquenets littéraires, manœuvrant autour des princes, eut le malheur de se glisser, de se fourvoyer un incrédule, un des hommes toujours rares, qui considèrent les choses en elles-mêmes, sans se préoccuper des opinions, des erreurs traditionnelles. La personnalité divine lui paraissait probablement douteuse ou chimérique : les poëtes courtisans le prirent pour un athée. Ronsard tonna aussitôt contre lui dans une pièce qui commence par cet hexamètre :

Ô ciel ! ô terre ! ô mer ! ô Dieu, père commun ! etc.

Turnèbe et Sainte-Marthe lancèrent à leur tour l’anathème en prose et en vers sur l’infortuné penseur : Rapin les seconda. Bref, toute l’école l’assaillit, le dénonça même à la justice et ne

  1. Voyez un sonnet dans ses œuvres complètes, 1572-1574.