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misérables, errant par les mers de ce monde, à l’abandon des vents et des flots, entre un million de périls et d’écueils. Vous sçavez quelles fortunes s’y courent, combien de monstres y sont en quête et le peu de voyageurs qui se garantissent du naufrage. Regardez, ô divines étoiles, que, pour toutes ces tempêtes, nous n’avons jamais abandonné la nacelle de l’Église, et que c’est la seule croix de Jésus-Christ qui nous sert de timon et de gouvernail. Il est vray que nous naviguons lâchement, et semble même que nous fuyons le rivage. Aidez-nous donc, lumières célestes, et nous inspirez une nouvelle force, à ce que, par votre secours, nous puissions aborder au port. »

Admirable privilège du talent ! Un homme passe sa vie au milieu d’une cour impudique ; lui-même prend une part active à la débauche, et sa voix langoureuse ne chante que des amours effrontés. On croirait que de son âme, habituée aux molles délices, ne peuvent sortir d’autres accents. Mais un jour la douleur le fait rentrer en lui-même, le repentir le touche, et voilà que de nobles paroles s’échappent de ses lèvres, que le cantique du regret et de l’espérance monte sans effort vers le ciel. La profane guitare, qui ne modulait que de voluptueux arpéges, trouve subitement d’autres mélodies : ses cordes frémissent d’une sainte et majestueuse émotion. Les hommes vulgaires n’ont jamais de ces retours ; ils demeurent noyés dans leur bassesse.

Ces prières sont les seuls morceaux de prose connus qui nous restent de Desportes. Mais nul doute que nos archives renferment plusieurs lettres et mémoires de sa main : un diplomate initié à tant de mystères, à tant de projets et d’intrigues cruelles, doit avoir laissé des traces de son activité politique. Le cardinal Du Perron, au surplus, estimait beaucoup la prose de l’abbé commendataire et l’égalait aux meilleurs morceaux écrits par Ronsard en style libre[1]. Un de ses amis, Pelletier, lui donnait même la préférence. Tous deux trouvaient d’ailleurs qu’il chantait mieux l’amour.

  1. Perroniana, page 283. Ce même recueil nous apprend que le cardinal avait baillé tous ses livres à Desportes et qu’il les regrettait souvent. Un jour, dans l’abbaye de Josaphat, Du Perron, qui était fort alerte, sauta vingt-deux semelles avec des mules et des escarpins. Nous notons ce détail en passant, pour montrer que l’on menait joyeuse vie chez Desportes.