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« Seigneur Dieu, qui par ta puissance infinie as créé toutes choses, par ta sapience les conduis, par ta bonté les conserves et par ta miséricorde les réformes, soutenant ce qui chancelle, relevant ce qui est chû et ressuscitant ce qui est mort, je t’adore, ô Dieu tout-puissant, père des grâces et des miséricordes, et te supplie que tu daignes tourner les yeux vers moi, misérable pécheur, j’entends ces yeux aimables et propices, par lesquels tu rasserenes tout ce qui est aux cieux et sur la terre, ces yeux pitoyables, desquels tu regardas le souverain pasteur de ton Église après qu’il t’eut renié, et soudain il se repentit, te reconnut et se reconnut. Tourne, ô Seigneur, cette veuë favorable sur ta créature, et voy de quelles ténèbres elle est suivie, de quelles angoisses elle est pressée, de quelles blessures elle est couverte et de quels ennemis elle est saccagée. Tu n’y reconnaîtras presque rien de ton œuvre, car toutes ses parties sont si changées, que, me regardant au miroir de ta loy, je me fais horreur et me suis épouvantable à moy-même. Cette âme créée à ton image, capable de raison, compagne des anges, héritière du ciel, régénérée par le baptême et rachetée non par autre rançon que par ton propre sang et ta mort cruelle, ô vray fils de Dieu ! tu la vois maintenant toute couverte de vices, dépouillée de grâces, morte en la foy, vive au désespoir et défigurée de telle sorte, qu’on n’y voit rien de son premier être. Ô moy misérable, en quels précipices suis-je tombé ! Combien de playes ai-je receuës, et quels maîtres ay-je servis, tandis que je m’oublie au pèlerinage d’Égypte et en la captivité de Babylone, et durant que je secoue le gracieux joug de ta servitude, ou, pour mieux dire, de ma franchise ? Car être délivré de toy, Seigneur, c’est être serf, et la douce garde est l’unique liberté de nos âmes. J’ose donc, pauvre brebis égarée, retourner à ce pasteur bien-aimé qui, m’ayant longuement cherchée parmy les épines des vices, m’a finalement tout joyeux remportée sur ses épaules, me couvrira de la blanche toison d’innocence et me fera rentrer dans le parc de son Église, pour y vivre désormais asseurée des embûches des loups. L’enfant prodigue osa revenir à son père, après avoir dissipé ses meilleures années et toute la riche substance de son partage, parmy les débauches et les paillardises, et, retourné de loin, affamé, pauvre et nud, ne rapportant autre chose de toutes les libéralités paternelles qu’une misérable conscience, affligée de crimes, d’horreur et de honte. Tu ne l’envoyes point, ce méchant serf fugitif, en la prison ou aux fers éternels qu’il auroit mérités, mais le reçois en ta famille et l’estime plutôt digne de pitié que de peine. Quand il s’humilie