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Et tourne en mon esprit mille et mille discours
Des succès incertains de vos vaines amours.

Telles étaient ses occupations, les jours de nonchalance et de rêverie. Mais des distractions plus actives ne tardaient pas à lui faire oublier le cours des heures. C’était la chasse au chien courant ou au chien d’arrêt, à l’autour et à l’appeau ; puis la pêche au filet, à la ligne, au flambeau ; venaient ensuite la coupe des foins, la vendange, les fêtes de village. Mais les danses et les cris le fatiguent :

Aussi le plus souvent tout seul je me retire
Au milieu d’un taillis, où je me mets à lire ;
Mais je n’ai commencé, qu’un sommeil gracieux
Me clôt, sans y penser, la paupière et les yeux.

Ô champs plaisants et doux ! ô vie heureuse et sainte !
Où, francs de tout souci, nous n’avons point de crainte
D’être accablés en bas, quand, plus ambitieux
Et d’honneurs et de biens, nous voisinons les cieux.

Le poëte ne décrivait pas la nature d’après les anciens ou d’après des ouï-dire, comme on faisait sous Louis XIV. Rien d’étonnant donc s’il trouve çà et là des images pleines de fraîcheur, s’il esquisse çà et là des tableaux pleins de vérité. Mais n’exagérons point et ne donnons pas lieu de croire que les scènes, les métaphores pastorales, abondent dans ses vers. Non, sa perpétuelle fréquentation du monde, sa résidence à la cour, produisaient déjà en partie l’effet que l’abus de la société, le séjour des palais royaux, devaient produire plus énergiquement par la suite : l’homme lui masquait un peu la nature, avant de la cacher tout à fait.

Desportes n’a point écrit d’ouvrage en prose, et n’offre au lecteur qu’un bagage de poëte. Quelques prières seulement, jointes à ses Œuvres chrétiennes, nous montrent comment il s’exprimait, quand il n’astreignait point son langage aux formes rhythmiques. Son style mélodieux, abondant et imagé ne perd point alors à être mis en comparaison avec ses odes et sonnets. Comme nous n’avons point cru devoir réimprimer ces pieuses effusions de cœur, nous allons en citer plusieurs passages étendus[1]. Voici d’abord les fragments d’une oraison adressée au Christ, ou, pour mieux dire, à la Trinité :

  1. Thibaut Desportes les publia pour la première fois en 1621, à Rouen, sous ce titre : Prières et Méditations chrestiennes, par Philippe Desportes, abbé de Thyron. Les Poésies chrestiennes s’y trouvent jointes.