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Les justes, ô Seigneur, n’en eussent eu que faire
Et pour eux son saint corps n’a pas été percé.

Par le fruit de sa mort j’attends vie éternelle ;
Lavée en son pur sang mon ame sera belle.
Arrière, ô désespoirs qui m’avez transporté !
Que toute défiance hors de moi se retire,
L’œil bénin du Seigneur pour moi commence à luire.
Mes soupirs à la fin ont ému sa bonté.

Ô Dieu toujours vivant ! j’ai ferme confiance
Qu’en l’extrême des jours, par ta toute-puissance,
Ce corps couvert de terre, à ta voix se dressant,
Prendra nouvelle vie, et, par ta pure grâce,
J’aurai l’heur de te voir de mes yeux, face à face,
Avec les bienheureux ton saint nom bénissant.

Ni Malherbe, ni Jean-Baptiste Rousseau, ni le Franc de Pompignan, n’ont tiré de leur cœur des plaintes aussi vraies, n’ont trouvé d’aussi mélodieux accords. La maladie, la crainte des châtiments célestes, inspiraient l’auteur, quand il a écrit ces strophes, et il a éclipsé d’avance les fastidieux rimeurs que nous venons de citer.

Un dernier point sollicite notre attention : la manière dont le poëte aux cinq abbayes décrivait la nature. La Pléiade avait pour elle plus d’affection, la peignait plus souvent et d’une main plus habile que les auteurs du dix-septième siècle. Cela tient à différentes causes que nous avons déjà signalées[1] ; mais il en est une qui m’avait peu frappé jadis, quoiqu’elle ne laisse pas d’avoir son importance : je veux parler de la haine de Louis XIV pour tout ce qui n’était pas factice, arrangé, conventionnel et prétentieux ; la nature, dans sa simplicité, lui faisait horreur. Saint-Simon nous donne à cet égard de curieux détails. La campagne, autour de ses châteaux, devait suivre tous ses caprices et changer subitement, comme une décoration de théâtre. Dans un marécage, dans une plaine sablonneuse, il voulait en quelques jours voir s’élever une forêt touffue : on y transportait de grands arbres, dont les trois quarts mouraient, étaient aussitôt remplacés, travail qui nécessitait de prodigieuses dépenses. Un bois épais, sillonné d’avenues obscures, il le faisait transformer en pièce d’eau, où une flottille de gondoles promenait la cour ; puis il ordonnait de combler le bassin et de rétablir la forêt. Les pierres, les pavillons, les sculptures, les peintures, les dorures, changeaient avec la même célérité. Il ne pouvait souffrir aucun objet qui ne portât l’empreinte de sa

  1. Histoire des Idées littéraires en France.