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et se sert même contre lui de ses propres expressions : il lui manque la vigueur et la furie. Quoique les Misères de la Femme mariée aient dix strophes de plus que la satire de Desportes, on n’y trouverait pas un de ces vers qui entrent comme des flèches au cœur du sujet. Les femmes ont eu, pendant le seizième siècle, de même que plus tard, quand Boileau les persifla, le malheur d’être défendues par des champions inhabiles : Perrault, si distingué comme penseur, ne possédait pas le style incisif et mordant de son adversaire[1]. Madame Liébault, quoique soutenue par le ressentiment, n’avait pas assez de nerf pour terrasser Desportes. La fougueuse diatribe du poëte laissa plus de souvenirs que sa molle réfutation. En 1614, un anonyme la rappelait et la commentait dans une brochure intitulée : Brief discours pour la réformation des Mariages. Cette facétie n’est même qu’une amplification maigre et commune de l’ardente invective lancée par Desportes contre les femmes.

La vigueur qui anime la dernière prouve que l’auteur pouvait faire autre chose que pincer de la guitare et chanter des vers d’amour. Il trouvait à l’occasion des accents héroïques, où la voix de Corneille semble retentir par anticipation. Comment le vieux tragique ne s’en est-il pas inspiré ? Il n’aurait pas cherché si longtemps sa forme.

J’aimerais mieux courir à ma mort assurée,
Poursuivant, courageux, une chose honorée,
Que, lâche et bas de cœur, mille biens recevoir,
De ceux que le commun aisément peut avoir.
Mon esprit, né du ciel, au ciel toujours aspire,
Et ce que chacun craint est ce que je désire.
L’honneur suit les hasards, et l’homme audacieux
Par son malheur s’honore et se rend glorieux.

Horace et Nicomède parlent-ils autrement ? Les Poésies chrestiennes, dont on ne s’est pas occupé jusqu’ici, renferment des passages de même nature, où l’inspiration atteint les hautes sphères du sentiment et de la pensée. Que dites-vous, par exemple, de ce fragment d’hymne au Dieu créateur :

Le ciel, qui toute chose embrasse,
Fuiroit tremblant devant ta face,
S’il te connoissoit irrité ;
Et des anges la troupe sainte
N’oseroit paroître en la crainte
De ta juste sévérité.

  1. Voyez son Apologie des Femmes.