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« Lorsque Desportes reviendra, il n’aura qu’à prendre ses hardes et à s’en aller. » Congédié avec aussi peu de cérémonie, honteux sans doute d’apprendre sa mésaventure à sa famille, le jeune homme se vit dans l’obligation de chercher fortune. La cour venait justement de partir pour ce tour de France que Catherine de Médicis faisait faire à Charles IX et qui dura près de deux ans[1]. Ronsard escortait le prince, composait pour lui des intermèdes et des bergerades. La curiosité, l’espoir de glaner sur les pas de la haute noblesse quelque faveur, quelque emploi lucratif, entrainèrent Desportes dans la même direction[2]. Il eut peine d’abord à se tirer d’affaire. Réduit aux plus durs expédients, il fut contraint d’aller faire pied de grue sur le pont d’Avignon, où l’on ne dansait pas toujours et où venaient, au contraire, se poster les valets sans maître qui désiraient entrer en place. Comme il restait là, livré à des préoccupations peu agréables et ne voyant pas venir d’amateurs, un jeune garçon dit en causant avec ses camarades : « Monseigneur l’évêque du Puy a besoin d’un secrétaire. » Ce prélat était alors dans la ville. Desportes va sur-le-champ lui offrir ses services, et a le bonheur de lui plaire par sa physionomie, comme à l’aimable procureuse. Ce fut le commencement de sa haute fortune. L’évêque était d’une grande maison[3] : Desportes fit chez lui des connaissances utiles, se façonna aux manières du beau monde. Il y donna d’ailleurs les premiers signes avérés de son talent poétique. Au rapport de Tallemant des Réaux, il écrivit alors sa belle ode contre une nuict trop claire :

O nuict, jalouse nuict, contre moy conjurée !
Qui renflammes le ciel de nouvelle clarté,
T’ay-je donc aujourd’huy tant de fois désirée
Pour estre si contraire à ma félicité ?

C’était une imitation de l’Arioste[4], mais il se garda de le dire et usa toute sa vie de la même réticence à l’égard de ses nom-

  1. La cour partit de Fontainebleau le 13 mars 1564, et ne termina son voyage qu’en décembre 1565. Elle parcourut le sud-est de la France pendant le premier automne.
  2. Ceci n’est qu’une hypothèse, mais elle a tant de vraisemblance qu’elle s’était déjà offerte à l’esprit de Tallemant. « Des Portes prend son paquet et s’en va en Avignon (peut-être la cour était vers ce pays-là), » dit-il. Au moment où eut lieu ce voyage, le poëte avait dix-huit ans, l’âge des premières amours et des premières aventures.
  3. Il appartenait à la famille de Senecterre.
  4. Voyez dans ses Poésies diverses le chapitre vii : le morceau italien débute par cette strophe :
    O ne’ miei danni, etc.