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Et portant en la main une boîte féconde
Des semences du mal, les procès, le discord,
Le souci, la douleur, la vieillesse et la mort ;
Bref, elle avait en dot tout le malheur du monde.

Dans le reste du morceau, le poëte fulmine avec la même violence, avec la même richesse d’images et le même bonheur de style ; un coup de tonnerre vraiment effroyable termine cette orageuse imprécation :

Ô supplice infernal, en la terre transmis
Pour gêner les humains, gêne mes ennemis[1] :
Qu’ils soient chargés de fers, de tourments et de flamme !
Mais fuis de ma maison, n’approche point de moi ;
Je hais plus que la mort ta rigoureuse loi,
Aimant mieux épouser un tombeau qu’une femme.

Un si cruel anathème exigeait une réponse, et l’auteur ne put se dissimuler qu’il devait plaider la cause de la partie adverse. Mais comme on défend mal ses antagonistes ! comme la générosité vous inspire moins bien que la colère ! La justice fit écrire au poëte, devinez quoi ? une chanson ! Il avait foudroyé le beau sexe dans une diatribe longue et furieuse : il le disculpa, ou pour mieux parler, il attaqua, fronda les hommes dans de gais couplets, avec un sourire jovial. Les plaignantes, d’ailleurs, n’expriment qu’un seul grief par la bouche du poëte : elles nous reprochent nos infidélités, comme si elles n’avaient nul autre sujet de mécontentement, ou ne tenaient qu’au monopole de notre affection. Voici les meilleurs couplets du morceau :

Les pensers des hommes ressemblent
À l’air, aux vents et aux saisons,
Et aux girouettes qui tremblent
Au gré du vent sur les maisons.

Leur amour est ferme et constante
Comme la mer grosse de flots,
Qui bruit, qui court, qui se tourmente
Et jamais n’arrête en repos.

Nicole Estienne, fille de l’imprimeur Charles Estienne et femme du médecin Jean Liébault, trouva cette réplique insuffisante, comme elle l’est en réalité. Elle prit donc les armes pour combattre Desportes ; mais Clorinde n’a pas le bras de Tancrède. Elle rend à son ennemi coup pour coup, rétorque ses arguments

  1. Le mot gêner, qui voulait dire torturer, avait autrefois un sens bien plus fort que de nos jours. Voyez la pièce entière, page 419 de ce volume.