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Je lui ai fait dresser et la vue et les ailes
Au bienheureux séjour des choses immortelles ;
Je l’ai tenu captif pour le rendre plus franc, etc.

Mais le service des dames, comme celui des rois, est plein de tribulations, de désenchantements et de secrètes douleurs. Nous avons entendu le poëte gémir de la contrainte, de l’anxiété, des humiliations qui tourmentent l’hôte assidu des cours : les plaintes que lui arrachent ses infortunes amoureuses sont beaucoup plus violentes. Dans mes études sur les Quinze Joies de mariage et sur l’Évangile des Quenouilles, j’ai mis en lumière ce fait bizarre, qu’il y eut en France, au quinzième siècle, une réaction impitoyable contre les femmes, qui s’exprima, non-seulement par des ouvrages en prose et en vers, par des pamphlets et des traités railleurs, mais par une persécution matérielle, par des procès et des bûchers, dont le plus fameux dévora Jeanne d’Arc. Les Stances du mariage semblent une dernière expédition de cette farouche croisade : le dépit, la haine, le ressentiment, animent Desportes d’une véritable éloquence. Les mots, les expressions ne lui coûtent pas : il rime vingt-cinq strophes d’une haleine, sa fureur coule à pleins bords ; et ses gracieuses ennemies jouaient de malheur, car le poëte n’a jamais écrit d’un plus beau style, n’a jamais montré une verve plus ardente, ne s’est jamais mieux soutenu. Dès la première strophe, ses vers roulent comme un flot qui doit tout emporter :

De toutes les fureurs dont nous sommes pressés,
De tout ce que les cieux ardemment courroucés
Peuvent darder sur nous de tonnerre et d’orage,
D’angoisses, de langueurs, de meurtre ensanglanté,
De soucis, de travaux, de faim, de pauvreté,
Rien n’approche en rigueur la loi de mariage.

Dure et sauvage loi, nos plaisirs meurtrissant,
Qui, fertile, a produit un hydre renaissant
De mépris, de chagrin, de rancune et d’envie,
Du repos des humains l’inhumaine poison,
Des corps et des esprits la cruelle prison,
La source des malheurs, le fiel de notre vie.

On dit que Jupiter ayant, pour son péché,
Sur le dos d’un rocher Prométhée attaché,
Qui servoit de pâture à l’aigle insatiable,
Ne se contenta pas de tant de cruauté,
Mais voulut, pour montrer qu’il étoit dépité,
Rendre le genre humain de tout point misérable.

Il envoya la femme aux mortels ici-bas,
Ayant dedans ses yeux mille amoureux appas,