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Et fay, mon cœur, que mon ame ravie
S’envole entre les dieux[1].

Voulez-vous entendre des notes plus graves, mais sorties également du cœur, avec toute l’éloquence et toute la mélodie naturelle des sentiments vrais, qui communiquent leur allure spéciale aux mots dont on fait usage pour les exprimer ? Ces strophes majestueuses vous donneront une haute idée du poëte :

Ô bienheureux ! qui peut passer sa vie
Entre les siens, franc de haine et d’envie,
Parmy les champs, les forests et les bois,
Loin du tumulte et du bruit populaire,
Et qui ne vend sa liberté pour plaire
Aux foux désirs des princes et des rois.

Il n’a souci d’une chose incertaine,
Il ne se paist d’une espérance vaine,
Une faveur ne le va décevant ;
De cent fureurs il n’a l’ame embrasée,
Et ne maudit sa jeunesse abusée,
Quand il ne trouve à la fin que du vent.

Il ne frémit, quand la mer courroussée
Enfle ses flots, contrairement poussée
Des vents esmus, soufflans horriblement :
Et quand, la nuict, à son aise il sommeille,
Une trompette en sursaut ne l’éveille
Pour l’envoyer du lict au monument.

L’ambition son courage n’attise,
D’un fard trompeur son ame il ne déguise,
Il ne se plaist à violer sa foy,
Les grands seigneurs sans cesse il n’importune ;
Mais en vivant content de sa fortune,
Il est sa cour, sa faveur et son roy.

Je vous rends grace, ô déitez sacrées
Des monts, des eaux, des forests et des prées,
Qui m’exemptez de pensers soucieux,
Et qui rendez ma volonté contente,
Chassant bien loin la misérable attente
Et les desirs des cœurs ambitieux.

L’amour, qu’il exprimait d’habitude avec toutes les subtilités, recherches et pointes méridionales, prenait sous sa plume de la grâce ou de l’éloquence, de la force et de la vivacité, dès qu’il abandonnait la fausse rhétorique des Italiens. On a très-

  1. Baiser, page 440.