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Si tous les songes ne sont rien,
C’est tout un, ils me plaisent bien :
J’aime une telle tromperie.
Haste-toy donc pour mon confort :
On te dit frère de la mort,
Tu seras père de ma vie.

Mais, las ! je te vais appelant,
Tandis la nuit en s’envolant
Fait place à l’aurore vermeille.
Ô Amour ! tyran de mon cœur,
C’est toy seul qui, par ta rigueur,
Empesches que je ne sommeille.

Hé ! quelle étrange cruauté !
Je t’ay donné ma liberté,
Mon cœur, ma vie et ma lumière,
Et tu ne veux pas seulement
Me donner, pour allègement,
Une pauvre nuit tout entière !

A-t-on rien fait de mieux depuis Desportes ? A-t-on jamais donné au vers français une allure plus vive, plus facile, plus moderne ? La prestesse, la rapidité du mouvement distingue en général ses strophes et leur communique une grâce particulière. Lisez, pour preuve, ce début que l’on chante presque malgré soi :

Douce liberté désirée,
Déesse, où t’es-tu retirée,
Me laissant en captivité ?
Hélas ! de moy ne te détourne !
Retourne, ô liberté ! retourne,
Retourne, ô douce liberté !

Ton départ m’a trop fait connaître
Le bonheur où je soulois être,
Quand douce tu m’allois guidant,
Et que, sans languir davantage,
Je devois, si j’eusse été sage,
Perdre la vie en te perdant[1].

On admire la même rapidité, la même souplesse de marche dans la pièce qui commence par cette strophe, et que sa longueur nous empêche de reproduire ici :

Fay que je vive, ô ma seule déesse !
Fay que je vive, et change ma tristesse
En plaisir gracieux ;
Change ma mort en immortelle vie,

  1. Voyez la chanson tout entière, page 127.