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Somme, doux repos de nos yeux,
L’aimé des hommes et des dieux,
Fils de la nuit et du silence,
Qui peut les esprits délier,
Qui fait les soucis oublier
Et le mal plein de violence :

Approche, ô sommeil désiré !
Las ! c’est trop longtemps demeuré ;
La nuict est à demy passée,
Et je suis encore attendant
Que tu chasses le soing mordant,
Hoste importun de ma pensée.

Quelle gracieuse allure ! quelle marche légère ! Comme les mots semblent d’eux-mêmes prendre leur place dans ces strophes harmonieuses. Presque aussitôt le poëte fait une peinture exquise de la nuit :

Haste toy, sommeil, de venir ;
Mais qui te peut tant retenir ?
Rien en ce lieu ne te retarde.
Le chien n’aboie icy autour,
Le coq n’annonce point le jour,
On n’entend point l’oye criarde.

Un petit ruisseau doux-coulant
À flots sinueux va roulant,
Qui t’invite de son murmure,
Et l’obscurité de la nuit
Moite, sans chaleur et sans bruit,
Propre au repos de la nature.

Ne semble-t-il pas voir cette nuit obscure, moite, fraîche et silencieuse, bien propre, en effet, à calmer les sens, à plonger l’esprit et le corps dans un repos léthargique ? Toute la fin doit être mise sous les yeux du lecteur pour montrer quelle perfection atteignait Desportes quand il suivait la pente de son génie ; l’auteur s’adresse toujours au sommeil :

Si tu peux nous représenter
Le bien qui nous doit contenter,
Séparé de longue distance,
Ô somme doux et gracieux !
Représente encore à mes yeux
Celle dont je pleure l’absence.

Le bien de la voir tous les jours
Autrefois étoit le secours
De mes nuicts, alors trop heureuses ;
Maintenant que j’en suis absent,
Rends-moy, par un songe plaisant,
Tant de délices amoureuses.