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toutes ses qualités lui appartenaient. Aussi la forme la plus spéciale aux écrivains méridionaux lui a-t-elle été peu avantageuse. Ses sonnets ne valent pas ses élégies, dialogues, stances, prières et chansons. On en citerait avec peine quatre ou cinq où ne minaude pas l’affectation italienne. Nous avons transcrit le morceau que lui dicta son bon sens contre les femmes intéressées qui cherchaient à le séduire pendant sa vieillesse. Les meilleurs ne portent aucune trace d’imitation. Une belle dame lui ayant redemandé ses lettres d’amour, il lui écrivit sur-le-champ cette réponse, dans laquelle palpite un sentiment véritable :

Lettres, le seul repos de mon âme agitée,
Hélas ! il le faut donc me séparer de vous,
Et que par la rigueur d’un injuste courroux
Ma plus belle richesse ainsi me soit ostée.

Ha ! je mourray plustost, et ma dextre indomtée
Fléchira par mon sang le ciel traistre et jaloux,
Que je m’aille privant d’un bien qui m’est si doux :
Non, je n’en feray rien, la chance en est jetée.

Il le faut toutesfois, elle les veut ravoir,
Et de luy résister je n’ay cœur ny pouvoir :
À tout ce qu’elle veut mon âme est trop contrainte.

Ô beauté sans arrest[1], mais trop ferme en rigueur,
Tiens, reprends tes papiers et ton amitié feinte,
Et me rends mon repos, ma franchise et mon cœur.

Les observations, auxquelles donnent lieu les sonnets de Desportes, demeurent vraies si on les applique à ses autres poëmes. C’est quand il oublie les anciens, quand il oublie les fadeurs italiennes, qu’il se montre supérieur. Étant inspiré par la nature, et le fond ne nuisant point à la forme, ses dons d’écrivain produisent alors tout leur effet. Une nuit, par exemple, travaillé d’amoureux désirs, le poëte cherchait vainement l’oubli et le repos. Dans sa pénible agitation, l’idée lui vint d’adresser une prière au sommeil ; ne connaissant pas de morceau où le même sujet fût traité, il exprima simplement ce qu’il sentait et fit un chef-d’œuvre. Il faudrait citer cette pièce tout entière, car elle est belle depuis le commencement jusqu’à la fin, mérite soutenu qu’offrent rarement les œuvres du seizième siècle. Comme on peut la lire, page 74 de ce volume, nous nous bornerons à citer quelques strophes charmantes. Admirez d’abord cet exorde :

  1. C’est-à-dire : que rien n’arrête, à laquelle rien ne résiste.