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ce qu’on nommait alors le beau style ; Desportes, les estimant trop peu ornés, y ajouta de nouvelles ampoules.

Qui voit vos yeux divins, si prompts à décocher,
Et ne perd aussitost le cœur, l’âme et l’audace,
N’est pas homme vivant : c’est un morceau de glace,
Une souche insensible ou quelque vieux rocher.

Qui ne voit point vos yeux doit les siens arracher,
Et maudire le ciel, qui ce mal lui pourchasse :
Je ne voudrois point d’yeux, privé de tant de grâce,
Car tous autres objets ne font que me fascher.

Ce qui prouve combien était devenue forte l’habitude d’imiter les Italiens, c’est que Desportes suivait leurs traces jusque dans des œuvres pieuses. Tombé malade, à vingt-quatre ans, d’une maladie grave qui lui arracha des cris de douleur pendant six mois, il fit trêve à ses plaintes langoureuses, à ses lamentations factices. Il semble que, pour gémir et invoquer l’aide du ciel, il n’avait pas besoin de modèles et que ses angoisses seules auraient dû l’inspirer. Mais la mode l’emporta sur la nature ; il se désola conformément à l’usage adopté par delà les monts. Six au moins des sonnets qu’il écrivit alors sont traduits de l’italien, comme le prouvent les notes qui les accompagnent dans cette édition. L’un d’entre eux a été l’objet d’une grande curiosité. On y a retrouvé le motif, les images et même les expressions du fameux sonnet de Desbarreaux, que tout le monde savait par cœur au dix-septième siècle ; on admirait surtout le trait ingénieux qui le termine :

J’adore en périssant la raison qui t’aigrit :
Mais dessus quel endroit tombera ton tonnerre,
Qui ne soit tout couvert du sang de Jésus-Christ ?

Du Radier crut avoir fait une grande découverte en trouvant l’original de cet opuscule dans un morceau de Desportes ; il annonça cette bonne fortune littéraire dans le Conservateur, et s’en glorifia de nouveau dans ses Récréations historiques et critiques. M. Sainte-Beuve a répété purement et simplement son observation. Ils ignoraient tous les deux que le sonnet de Desportes était une humble traduction de l’italien de Molza, preuve manifeste qu’ils n’avaient lu ni l’un ni l’autre les Rencontres des muses de France et d’Italie, où l’emprunt se trouve constaté ; voici les deux opuscules :

Signor, se tu miri à le passate offese,
A dir il vero, ogni martire è poco :