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auteur. Souvent même il ne fait que les traduire. Vers la fin de sa carrière, on lui joua le mauvais tour de publier quarante-trois de ses sonnets, en regard desquels on avait imprimé les sonnets italiens qu’il avait mis à contribution, sans avertir le lecteur[1]. Le poëte ne s’émut aucunement de cette révélation. Il déclara même de fort bonne grâce « qu’il avoit pris aux Italiens plus qu’on ne disoit, et que, si l’auteur l’avoit consulté, il lui auroit fourni de bons mémoires. » Les emprunts de Desportes doivent être en effet beaucoup plus nombreux. Henri Estienne, dans la Précellence du langage françois, mentionne trois de ces interprétations que le critique a oubliées : deux sonnets et des stances[2]. Pasquier en cite d’autres, et, si on voulait chercher, suivre la piste du voluptueux rimeur, on découvrirait la trace de ses pas sur une foule de propriétés où il allait clandestinement à la maraude.

Quand on compare ses vers aux morceaux primitifs, on remarque avec étonnement qu’il charge le style original de fioritures nouvelles, au lieu de le simplifier. En voici un exemple curieux ; nous citerons seulement les deux premières strophes du sonnet italien et de l’imitation française :

Chi vede gli occhi vostri, e di vaghezza
Non resta vinto, al primo encontro, e privo
De l’alma, puo ben dir che non è vivo,
Ne sà che cosa sia grazia e bellezza.
Chi non gli vede ancor, puo de l’asprezza
Lamen arsi del Fato, e havere à schivo
La vita, e dire : A che mi val s’io vivo,
Non potendo gustar tanta dolcezza ?

Nous traduisons tant bien que mal ces vers alambiqués :

« Celui qui voit vos yeux et, au premier abord, n’est pas vaincu, privé de son âme par leur beauté, peut bien dire qu’il ne vit pas, qu’il ignore ce que c’est que la grâce et la perfection.

« Celui qui ne les a pas encore vus peut gémir de la cruauté du sort, prendre la vie en dégoût et se dire : À quoi me sert de vivre, sans pouvoir savourer une telle douceur ? »

Ces expressions suffisaient déjà pour charmer les partisans de

  1. Les Rencontres des Muses de France et d’Italie, Lyon, 1604, un mince volume in-4o, dédié à la reine. Le privilège est de novembre 1603. L’auteur donne en masse, au commencement de l’ouvrage, les noms des écrivains imités par Desportes, mais il ne les joint pas à chaque pièce, ce qui eût été cependant bien préférable.
  2. Pages 90 et suivantes, édition de M. Feugères.