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« Chacun de mes sentiments a souffert une atteinte ; mon orgueil, que l’univers n’aurait pu courber, fléchit devant toi, devant toi qui m’abandonne : et mon âme m’abandonne à son tour.

« Mais c’en est fait : toutes les paroles sont vaines, surtout celles que prononce ma bouche. Seulement les pensées que nous ne pouvons retenir se frayent un chemin malgré nous.

« Sois heureuse ! Ainsi déchu, violemment arraché à toutes mes affections intimes, le cœur navré, solitaire et maudit, je ne puis guère entrer plus avant dans les régions de la mort. »

Que l’on fouille la littérature italienne, et qu’on y trouve un morceau où vibre la même éloquence, où gémisse une douleur aussi vraie, aussi bien rendue !

Ces explications étaient tout à fait nécessaires pour caractériser l’influence de la poésie ultramontaine sur nos écrivains pendant le seizième siècle. Deux courants principaux traversent alors le monde intellectuel, l’un venu de l’Attique et grossi à Rome, l’autre sorti de Florence et du mont Palatin à une époque plus récente. Tous deux se mêlent, se croisent dans les premiers travaux de la Pléiade, les inondent même comme un véritable débordement. C’est l’inspiration italienne qui contourne ces vers de Ronsard :

De la nature un cœur je n’ai receu ;
Ainçois plustost, pour se nourrir en feu,
En lieu de luy j’ay une salamandre :
Car, si j’avois de chair un cœur humain,
Long temps y a qu’il fust réduit en cendre,
Veu le brasier qui se cache en mon sein.

À la seconde génération, la source gréco-latine ne verse plus à notre littérature que des flots intermittents ; mais l’onde italienne augmente son tribut et paraît vouloir tout submerger. Desportes, qui avait vingt-deux ans de moins que Ronsard, fut l’auteur le mieux doué de cette nouvelle génération. Ses stances et couplets n’offrent, pour ainsi dire, aucune trace de pédantisme de l’époque, mais la recherche italienne y domine. Qu’on ouvre ce volume au hasard, quelque réverbération de l’art ultramontain frappera aussitôt les yeux :

Comme dans un miroir on voit toutes les Grâces
Au clair de vostre teint, et le vainqueur des dieux
Est aveugle deux fois quand vous fermez les yeux,
Et sans vous ses brandons seroyent changez en glaces.

Voilà qui sent les bords du Tibre et de l’Arno. Les poëtes fameux par delà les Alpes sont évidemment les modèles que suit notre